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d’économie pour résister. Il serait du devoir d’une société bienfaisante d’éviter à la classe ouvrière ces tentations. La ville de Paris, qui possède en revenu près de 50 millions, pourrait bien concéder une somme de cent mille francs pour établir une succursale dans chaque quartier ; cela ne formerait encore que quarante-huit bureaux, et la loterie en comptait cent.

La nature de la population des arrondissemens de Paris imprime son caractère au mouvement de ces succursales ; les bureaux qui font les plus fortes recettes et qui délivrent le plus grand nombre de livrets sont toujours les bureaux situés à proximité de la classe ouvrière. Les deux succursales du faubourg Saint-Antoine et des quartiers Saint-Denis et Saint-Martin se présentent en tête de toutes les autres, avec leur armée de travailleurs économes. Les plus importantes, après ces deux premières, sont celles de la rue de Grenelle-Saint-Germain et de la rue d’Anjou ; les hommes de service s’y montrent plus nombreux que dans les autres quartiers ; la moyenne des versemens y est plus élevée ; on y sent la présence de gens à gages, qui, se trouvant nourris par leurs maîtres, sont plus à portée que d’autres de réaliser des bénéfices et de les convertir en épargnes. C’est toujours dans les premiers mois de l’année qu’ont lieu les plus fortes recettes ; elles ont été de 4,906,000 francs en janvier 1843 ; ne pourrait-on attribuer cette circonstance au voisinage du jour de l’an, qui enfle de ses étrennes la bourse des domestiques ? La statistique de la population et des recettes de la caisse d’épargne donne le bilan de l’économie parisienne. Long-temps on a cru, et plusieurs croient encore, que la plus nombreuse clientelle de cette institution est formée des gens de service. Ce résultat serait déplorable ; sans vouloir exclure personne des secours de la prévoyance et de la charité sociales, nous ne craindrons pas de dire que cette classe parasite, fainéante, louée à terme, qui achète volontairement l’aisance au prix de la liberté, est la moins intéressante de toutes et a d’ailleurs le moins besoin de notre protection. Ceux qui raisonnent dans cette hypothèse ont accusé, non sans raison, les caisses d’épargne de développer des goûts de rapine et d’avidité dans une race qui n’est déjà que trop portée à étendre ses mains. Tout cela peut être vrai, pourtant il ne faut pas envisager une grande et sérieuse institution à travers les imperceptibles inconvéniens qui obscurcissent çà et là ses irrécusables services. Sans doute, il y aurait un danger grave à ce que l’argent confié aux caisses d’épargne fût le fruit du vol au lieu d’être le fruit de l’économie ; nous allons voir que ce danger n’existe pas.