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sont appelées à rendre, le saint-père signale encore celui-ci : Les délits diminueront, car la misère et la faim conduisent certainement au mal. Presque tous les gouvernemens se sont empressés d’accueillir une institution qui devait les affermir contre l’esprit de désordre et contre les suites du malaise dans les classes ouvrières. La fortune de l’état, enfermant en soi tant de fortunes particulières, les intéresse toutes à sa stabilité.

L’économie n’est pas une vertu nouvelle dans la classe bourgeoise ; l’histoire de la bourgeoisie nous présente, au contraire, un système d’économie opiniâtre, suivi sans relâche durant huit siècles, et arrivant pas à pas à son but, c’est-à-dire à la révolution de 89. C’est au moyen de l’épargne que le serf primitif a racheté sa personne d’abord, et ensuite une à une toutes ses libertés, violemment confisquées par le régime féodal. La bourgeoisie en France avait inventé la caisse d’épargne long-temps avant 1818 cette caisse était le territoire sur lequel sans cesse elle plaçait le produit de son travail, et dont elle finit par devenir propriétaire. Il n’en était pas de même du peuple. Pauvre et prodigue, ce dernier dissipait les fruits de son dur labeur. Il y a trente ans, l’ouvrier vivait encore au jour le jour ; il ignorait les ressources réputation de fourmi. Son imprévoyance avait souvent des suites funestes. Que faisait-il dans la belle saison et quand l’ouvrage allait bien ? Soir et matin, à tout venant, il chantait, ne vous déplaise, au cabaret, du coin ; mais après l’été venaient les temps de bise et de chômage : il lui arrivait souvent d’être réduit à subir le froid et la faim. Que devenir ? Il songeait alors à emprunter, comme la cigale, de la fable. Par malheur, la bourgeoisie n’est pas prêteuse, ou elle ne prête qu’à gros intérêts et sur nantissement. Il fallait donc porter ses vêtemens et son linge au mont-de-piété qui, avance d’une main et qui retire de l’autre ; après les habits, on s’en prenait aux meubles, qu’on vendait pour avoir du pain. Tout cela était triste et déchirant ; on jurait alors, mais un peu tard, qu’on ne se laisserait plus aller à la dissipation, sœur de la misère ; puis revenaient des temps meilleurs, et l’on recommençait la même vie insouciante. Des habitudes d’ordre et de prévoyance ne se forment pas en un jour dans le sein d’une classe de la société qui a justement contracté des habitudes contraires ; il a fallu du temps à l’institution de la caisse d’épargne pour faire pénétrer son esprit dans les masses et pour vaincre la résistance des mœurs plébéiennes. C’est à ces obstacles invétérés qui ont entouré sa marche dans les commencemens