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entière adopte l’étoffe ou la mise nouvelle. La durée de la mode est incertaine ; elle est d’abord le partage d’un petit nombre d’élus, puis elle gagne de proche en proche, luttant quelquefois malgré l’incommodité ou le mauvais goût. Des classes élevées, où elle a pris naissance, elle descend les degrés de la société, chassant devant elle les habitudes anciennes et les faisant disparaître, jusqu’à ce qu’elle-même succombe devant une mode nouvelle à laquelle un hasard nouveau aura donné naissance et qui est appelée à parcourir plus ou moins rapidement le même cercle. La durée de la mode est incertaine : fille d’un caprice, un caprice la détruit, et cependant cette puissance fugitive a dans son règne éphémère distribué la richesse, animé les populations et produit des effets économiques de la plus haute importance.

Les pouvoirs les plus élevés sont impuissans contre la mode. Elle suit la grace et résiste à la contrainte. Par exemple, en France, il est de prescription de ne se rendre à une invitation adressée par le prince que revêtu d’un costume particulier appelé le costume de cour. Les assemblées où ce costume est d’étiquette offrent le mélange le plus singulier de vêtemens de coupes différentes, empruntées à des époques diverses, d’ornemens de mauvais goût, de broderies capricieuses. L’artiste, l’homme de lettres, le citadin, qui ne sont pas distingués par un habit particulier, une espèce d’uniforme comme les fonctionnaires publics, comprennent qu’en sortant de la solennité à laquelle ils sont conviés, cette mise d’un jour ne peut les suivre dans la société de leurs amis, que la mode ne ratifiera pas l’habit à prétention, et on se hâte de le déposer, et avec lui la gêne qui l’accompagnait. L’habit de cour, lorsqu’il était aussi celui que les salons des hommes titrés pouvaient seul recevoir, devenant d’un usage fréquent, était soumis à la loi commune et à l’empire du goût et de la mode ; il n’est plus que l’indice d’une obligation passagère, car le pays a trop la conscience de la valeur des hommes pour que l’aspect d’une broderie ajoute à la considération qu’il leur porte.

En respectant l’usage des tissus les plus importans, comme les draps, par exemple, et les soieries unies, auxquels elle ne s’attache que pour en changer les couleurs ou l’emploi, la mode amène chaque année presque une rénovation dans les soieries façonnées, dans les étoffes variées, mélangées ou imprimées. C’est par là surtout que nos expositions de l’industrie prennent chaque fois un aspect nouveau, aspect qui se reflète dans la foule environnante, séduite et charmée par le choix de tant d’objets destinés à lui plaire.