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MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

mais de ses jours inoccupés, de ses soirées oisives ? Où porter son cœur et ses pas ? Plus de but ; partout, autour de lui, l’abandon, le silence, les steppes désolées. Dans son désespoir, il prit le chemin de Vaubert.

— Madame, s’écria-t-il en entrant dans le salon où la baronne était seule, madame, que vous ai-je fait ? en quoi ai-je pu démériter de vous ? Pourquoi m’avoir tendu votre main, si vous deviez la retirer plus tard ? Pourquoi m’avoir appelé, si vous deviez me chasser sans pitié ? Pourquoi m’avoir tiré de mes ennuis, si vous deviez m’y rejeter si tôt ? Regardez-moi : je suis vieux, mes jours sont comptés. Ne pouviez-vous attendre encore un peu ? je n’ai guère de temps à vivre.

Mme  de Vaubert s’efforça d’abord de l’apaiser, protestant de son affection et lui prodiguant les mots les plus tendres. Lorsqu’elle le vit plus calme, elle essaya de lui faire comprendre les motifs impérieux auxquels elle avait dû céder. Elle y mit en apparence une extrême réserve et une exquise délicatesse ; mais en réalité chacune de ses paroles entra comme la lame d’un poignard dans le cœur de Stamply. Un reste d’orgueil le soutint et le ranima.

— Vous avez raison, madame, dit-il en se levant ; c’est moi qui suis un insensé. Je m’éloigne sans me plaindre et sans murmurer. Seulement, rappelez-vous, madame, que je n’aurais point osé solliciter l’honneur que vous m’avez offert ; rappelez-vous aussi que je ne vous ai pas trompée, et que, dès notre première entrevue, je vous ai dénoncé moi-même les outrages et les calomnies que le monde avait amassés sur ma tête.

À ces mots, il marcha résolument vers la porte ; mais, épuisé par l’effort de dignité qu’il venait de faire, il tomba dans un fauteuil, et laissa ses larmes couler.

En présence d’une douleur si vraie, Mme  de Vaubert se sentit sincèrement émue.

— Mon ami, écoutez-moi, dit-elle. Vous pensez bien que je ne me suis pas résignée sans effort à briser des relations qui faisaient ma joie autant que la vôtre. Je m’étais prise pour vous d’une tendre affection ; je me complaisais dans l’idée que j’étais peut-être dans votre existence quelque chose de bon et de consolant. De votre côté, vous m’aidiez à supporter le poids d’une bien triste vie. Votre bonté me charmait ; votre présence distrayait mes ennuis. Jugez donc si je me suis décidée volontiers à déchirer votre cœur et le mien. J’ai long-temps hésité ; enfin, j’ai cru devoir, par égard pour mon fils, donner