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long-temps à l’écart, non sous sa tente, au bord de la mer, mais dans une caverne du Parnasse. Le vaillant Odysseus était célèbre dès sa jeunesse par la rapidité de sa course, comme le fils de Pelée ; il courait devant une voiture dont les chevaux étaient lancés au galop. On dit la même chose de Nikitas, aujourd’hui relégué dans l’île d’Égine, où je n’ai pas vu sans émotion ce terrible capitaine, que ses exploits homériques avaient fait nommer le Turcophoge, se lever de la simple natte sur laquelle il prenait son sommeil. En sortant, mon guide me disait : « Aujourd’hui encore, il défierait à la course le cheval le plus rapide. » Il me citait, pour m’en convaincre, deux vers d’un chant populaire sur le vieux Nikitas, dont les pieds sont des ailes.

Le jour où je visitai les ruines de Mycènes, le caractère des lieux et des monumens ne fut pas pour moi le seul commentaire de la forte poésie d’Eschyle et l’histoire contemporaine m’en offrit un moins frappant. Ce jour-là, on m’avait montré dans le mur de l’église de Nauplie l’empreinte de la balle qui frappa Capo-d’Istria, et qui partit d’une main armée comme celle d’Oreste, par le désir de venger un père. Le vieux bey du Magne, Pietro Mavromichali, dont je devais saluer quelques jours après la vénérable vieillesse ; Pietro-Bey, qu’il faut entendre raconter avec une simplicité sublime comment son grand-père, son père et lui-même ont battu les Turcs ; Pietro-Bey, qui n’avait peut-être pas assez oublié, sous un gouvernement jaloux d’effacer le passé récent de la Grèce, que les beys du Magne se contentaient d’offrir au sultan pour tout tribut vingt piastres à la pointe de leur sabre en lui disant : « Je te les donne, non que je te les doive, mais parce que telle est ma volonté ; » Pietro-Bey était en prison ; son frère Constantin et son fils George n’avaient pu obtenir sa grace de Capo d’Istria A l’heure de la messe, Constantin et George attendent le président à la porte de l’église ; le frère du vieux Mavromichali tire sur l’ennemi des siens, qui tombe à ses pieds ; le fils, avec le sentiment d’Electre criant à son frère tandis qu’il frappe Clytemnestre : Redouble si tu peux ! donne un coup de poignard au cadavre. Condamné, il demanda la faveur de baiser la main de son père avant de mourir. Cette grace lui fut refusée ; mais, quand il marcha au lieu où il devait être fusillé, on vit le vieux bey, en vrai descendant des Spartiates, paraître à la fenêtre de sa prison, et, sans larmes, sans paroles, bénir son enfant.

Ce récit m’eût mu en toute circonstance ; il ne frappa singulièrement dans ce jour, où j’étais plein d’Eschyle et poursuivi du souvenir d’Oreste. C’était, après tant de siècles, comme un écho de la voix d’airain