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femme l’y avait entraîné malgré lui ; il avait gardé la conviction qu’il aurait pu, avec un peu d’adresse, conserver sa tête et ses biens. Le marquis de La Seiglière, soit fermeté, soit entêtement, ayant déclaré qu’il ne rentrerait en France qu’avec ses maîtres légitimes, M. de Vaubert partit seul, se réservant de revenir près de sa femme et de son fils ou de les appeler près de lui, selon le résultat de ses démarches et la tournure des évènemens.

M. de Vaubert trouva son château mutilé, ses créneaux abattus, ses fossés comblés, ses écussons brisés, ses terres morcelées, ses propriétés vendues. C’était un esprit assez positif, revenu des idées chevaleresques, dont il ne se pardonnait point d’avoir été dupe un instant. Rentré sous un faux nom, il obtint à la longue sa radiation de la liste des émigrés, et reprit son titre aussitôt que les hautes classes de la société commencèrent de se reconstituer. Baron comme devant, il ne s’agissait plus que de reprendre la baronnie ; c’est vers ce but qu’il tourna toutes ses facultés.

Il n’est rien que l’adversité pour développer dans le cœur de l’homme les instincts industrieux dont l’ensemble compose ce mauvais génie qu’on appelle le génie des affaires. Il est vrai d’ajouter que le moment était bien choisi. Époque de ruine et de fondation, si les vieilles fortunes croulaient comme des châteaux de cartes, les fortunes nouvelles poussaient comme des champignons le lendemain d’une pluie d’orage. Il y avait place pour toutes les ambitions : les parvenus encombraient le sol ; les particuliers s’enrichissaient d’un jour à l’autre au jeu des spéculations hasardeuses, et, au milieu de la prospérité individuelle, il n’y avait, à proprement parler, que l’état qui se trouvât dans le dénuement. M. de Vaubert se jeta dans les affaires avec l’audace aventureuse des gens qui n’ont plus rien à perdre ; sans se laisser décourager par la difficulté de l’entreprise, il se proposa vaillamment de reconquérir et de réédifier l’héritage qu’il avait reçu de ses pères, et qu’il avait à cœur de transmettre à son fils. Toutefois, des années s’écoulèrent avant que le succès couronnât ses efforts, et ce ne fut guère qu’en 1810 qu’il put racheter ce qui restait de son manoir, en y joignant quelques terres environnantes. Il en était là de sa tâche, qu’il espérait mener à bonne fin, quand la mort le surprit, comme il venait d’écrire pour rappeler près de lui sa femme et son fils, qu’il n’avait pas revus depuis près de quinze ans.

Pendant ce temps, que s’était-il passé dans l’exil ? Le marquis avait vieilli ; Mme de Vaubert n’était plus jeune ; son fils Raoul avait dix-huit ans ; il y en avait dix que Mme de La Seiglière était morte en