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exprimées par son collègue, avait tenu cependant un langage plus modéré. A Paris, M. Guizot montrait à qui voulait la voir une lettre de notre chargé d’affaires à Londres, M. de Chabot, annonçant que lord Aberdeen désapprouvait les termes employés par sir Robert Peel. Bien plus : des journaux anglais, connus pour recevoir les inspirations de M. Peel, présentaient l’affaire sous un jour nouveau qui en rendait la conclusion facile. M. Guizot était déjà triomphant. Ses écrivains les plus intimes plaisantaient fort agréablement sur la simplicité des journaux de l’opposition, sur tout ce bruit fait à propos d’une petite reine de sauvages et d’un religionnaire exalté, sur la bonhomie de ceux qui conservaient encore des inquiétudes sérieuses au sujet de cette puérile affaire. M. Molé devait en être pour ses paroles à la chambre des pairs ; M. Billault était prié de réserver son éloquence pour une meilleure occasion. Malheureusement, les faits qui ont suivi sont venus troubler ces joies indiscrètes et cette confiance prématurée. Le gouvernement anglais a reproduit avec une insistance évidemment calculée toutes ses prétentions sur l’affaire de Taïti. Les hommes les plus graves de l’Angleterre se sont fait, en quelque sorte, un point d’honneur de parler, à peu de chose près, comme M. Peel. Lord Wellington a déclaré formellement que l’Angleterre avait été insultée, et que cette insulte devait être réparée. Quant à lord Palmerston, il a dû naturellement saisir cette heureuse occasion d’exprimer avec sa bienveillance ordinaire les sentimens qu’on lui connaît à l’égard de la France. La presse anglaise, ouvertement encouragée par lord Aberdeen, a fait comme le parlement ; elle a montré la même vivacité et la même décision. Son langage a été unanime. Il est devenu dès-lors manifeste pour M. Guizot que sa situation personnelle, si soigneusement ménagée jusqu’ici par le ministère anglais, était sacrifiée sans scrupule. Un fait qui s’était passé peu de jours avant aurait pu lui en donner le pressentiment. Lors des premières interpellations sur Taïti, dans la première séance du mois d’août, lord Aberdeen avait commis envers M. Guizot une grave indiscrétion. Le noble lord avait affirmé que le désaveu de M. Dupetit-Thouars avait été demandé à la France. C’était démentir publiquement M. Guizot, qui a déclaré il y a six mois, à la tribune française, que ce désaveu a été spontané. Un pareil oubli des intérêts de M. Guizot avait déjà quelque chose de significatif dans les circonstances.

Le cabinet anglais ne retire donc aucune de ses prétentions primitives. Il exige une réparation. Il compte l’obtenir de M. Guizot en cessant de protéger sa position ministérielle, et il se présente ayant derrière lui tout le parlement et toute la presse de l’Angleterre. Que fera M. Guizot ?

Plus on examine cette affaire, plus il est difficile de voir à quel titre l’Angleterre exige une réparation. Si l’on en juge par les détails publiés dans les journaux anglais, aucune accusation sérieuse ne peut être légitimement intentée contre MM. Bruat et d’Aubigny. Il est avéré que le religionnaire Pritchard fomentait des troubles contre le gouvernement substitué au protectorat. Il