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pas moins la chance de passer pour un maître d’école aux yeux de tel romancier superbe qui prendra pour une injure un bon conseil, ou de tel poète irritable qui se croira blessé au moment où il sera secouru. Advienne que pourra. Je vais être vrai avec tous ceux que je rencontrerai sur ma route, poètes, romanciers, historiens ; il en restera toujours quelque chose.

Les fonctions d’historien deviennent chaque jour plus difficiles à remplir. Lorsqu’à l’histoire superficielle, qui prenait les faits à fleur de terre, succéda l’histoire aux nombreuses recherches, aux fouilles profondes, la nouveauté, dans les premiers momens, suffisait, on était facile sur le reste. La nouveauté était un pavillon qui circulait librement et forçait tous les passages ; mais aujourd’hui que les travaux ont été poussés loin, que les documens ont été accumulés en grand nombre et de tous côtés, on est devenu à bon droit plus exigeant, et l’on demande presque chez l’historien toutes les qualités au complet : science et impartialité, clarté et profondeur, style original. Quelques hommes ont répondu noblement à ce programme, et ce n’est pas une médiocre consolation, dans l’abaissement actuel des lettres, de voir s’élever ces vaillans et heureux champions des études historiques, au nombre desquels il faut placer M. Michelet.

M. Michelet continue son immense travail sur l’histoire de France avec une patience courageuse et sans fatigue apparente ; son sixième volume est digne de ses aînés, s’il ne leur est point supérieur. Pour qui connaît en effet le procédé de M. Michelet, il est aisé de comprendre qu’appliquée à ce règne de Louis XI, qui exige presque autant les qualités du romancier que celles de l’historien, il ait réussi, et que le tableau soit bien venu. Louis XI, on l’a remarqué, est le roi de France qui a été le plus curieusement interrogé dans ces derniers temps. Je m’explique sans peine cette curiosité de notre époque révolutionnaire à l’égard de ce bizarre et profond personnage, qui a commencé en France les révolutions. Bizarre et profond personnage en effet, accomplissant une œuvre gigantesque avec des formes souvent puériles et ridicules, agrandissant la France et comprenant si bien les avantages de l’unité, qu’il disait à Comines : « Si je vis encore quelques années, il n’y aura en France qu’une coutume, un poids et une mesure ! » Prodigieuse pensée qui ne devait s’accomplir que plusieurs siècles plus tard ! Homme habile qui jouait les autres et s’est plus d’une fois joué lui-même, comme cela arrive souvent à la ruse qui se prend à son trébuchet. Audacieux quelquefois, et souvent lâche, car il ne se piquait pas à contre-temps de cœur romain, dit Bayle ; tyran qui donne asile à l’imprimerie, c’est-à-dire à la liberté future du monde ; la tête la plus positive et la plus superstitieuse : tout mis en balance, dit Duclos, c’était un roi. Oui, c’était un roi, et un vilain homme.

Moins grand comme politique, Charles-le-Téméraire a une physionomie plus attachante et plus poétique. Enthousiaste et opiniâtre, ayant foi à sa fortune depuis les triomphes de Montlhéry et de Dinant, aimant l’antiquité, ce qui est toujours un bon témoignage, et cherchant sans cesse à comprendre Alexandre, Annibal et César ; faisant de grandes choses sans suite, ayant