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Rivas, Gil y Zarate, Zorrilla, Hartzembusch, toute une phalange de jeunes esprits noblement inspirés, et dont les travaux doivent infailliblement attirer l’attention de l’Europe, s’éprend chaque jour davantage des gloires, des mœurs, des traditions péninsulaires. Par la régénération littéraire, l’Espagne doit reconquérir sa place dans la civilisation générale autant pour le moins que par la réforme de ses institutions. Le théâtre de l’Espagne est plus heureux que le nôtre. A l’excès du romantisme qui a compromis l’école entière, on voudrait voir succéder chez nous une période nouvelle qui, transformant le genre et l’agrandissant, l’élèverait à la hauteur de la civilisation actuelle de la France. Il faut le dire pourtant, nous en sommes à la phase de découragement et de lassitude rien encore ne laisse entrevoir le jour où la poésie nationale reprendra son plein et vigoureux essor. En Espagne, c’est tout le contraire ; si pendant quelque temps le théâtre de la Péninsule a subi comme le nôtre l’influence exclusive du genre classique et puis celle du genre romantique, il a du moins secoué franchement l’une et l’autre pour redevenir ce qu’il était, il y a un siècle et demi à peine, avant le complet abaissement de la scène madrilègne ou sévillane. Et en effet, pourquoi se faire Allemand, Français ou Anglais, quand il y a pour lui tant de profit à redevenir Espagnol ? Chaque peuple, s’il veut sérieusement renaître à la vie intellectuelle, est tenu de s’inspirer des idées et des sentimens qui lui sont propres. On peut bien, en dehors de ces voies fécondes, déconcerter un instant le goût public ou l’éblouir par les brillans caprices et les imitations décevantes ; mais c’est dans la seule originalité de ses allures que doit chercher l’avenir toute littérature qui se sent forte et vivace, et l’originalité ne se conserve ou ne se recouvre que par le culte religieux de la nationalité. Durant tout ce mouvement de rénovation où se retrempe et se rajeunit la poésie espagnole, M. Gil y Zarate soutiendra bien, nous l’espérons, la responsabilité que lui imposent l’énergie même de son talent et l’élévation de son esprit. M. Gil y Zarate n’a point pris l’initiative ; c’est M. le duc de Rivas qui à bon droit en revendique l’honneur. Cependant nul mieux que M. Gil y Zarate ne peut en assurer le triomphe par ce rare instinct des choses les plus émouvantes et les plus grandioses de la scène, que discipline aujourd’hui l’expérience, par les réels mérites des idées aussi bien que par ceux du style. En un pays tel que l’Espagne, n’est-ce point une précieuse fortune pour un homme de passion et d’imagination éclatante, que chez lui on trouve non-seulement un poète, mais encore un penseur ?


XAVIER DURRIEU.