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belle et douce comme sa mère, fut le gage d’une si malheureuse passion. Un an plus tard, Dieu lui fit la grace de voir en quel abîme de corruption il s’était jusque-là complu à vivre ; quand le confesseur Matilla lui ordonna d’exiler à jamais la mère et la fille, il obéit à regret, mais il obéit. Depuis lors, seize ans se sont écoulés sans qu’il ait pu savoir où s’était réfugiée leur misère, et voilà précisément ce qui lui fait la vie intolérable. Il sait bien qu’en pleurant une enfant dont la naissance fut un crime, il encourt la damnation éternelle mais comment imposer silence à l’amour paternel qui remue ses entrailles et les déchire ? Dans l’enfer même où il va descendre, c’est encore l’absence de sa fille qui sera son plus terrible tourment.

Après un tel aveu, Charles VII n’ose lever les yeux sur son confesseur, tant il redoute l’indignation que Froïlan en doit éprouver. Il s’en faut de beaucoup cependant : que Froïlan s’indigne et le menace des colères célestes ; Froïlan ne songe qu’à le consoler. Que le roi se rassure, c’est un scrupule exagéré qui l’a décidé à éloigner sa fille ; le ciel ne s’offensera point qu’il la rappelle dans son palais même pour lui faire oublier de si longues années d’abandon. Qui peut sonder les desseins de Dieu, quand il permet que les rois eux-mêmes viennent à pécher ? Si le grand Charles-Quint ne s’était point abandonné, lui aussi, aux séductions de l’amour coupable, l’Europe eût-elle été sauvée par le vainqueur de Lépante ? De tous les crimes, d’ailleurs c’est celui pour lequel le juge suprême se montrera le moins sévère ; sans aucun doute, son courroux fléchira devant la prière fervente des Espagnes le jour où la sainte inquisition, qui déjà se prépare à pratiquer l’exorcisme, sommera le démon d’abandonner une ame que la crainte de Dieu seule doit à l’avenir posséder.

Si Froïlan compatit aux maux du roi, il ne faut pas que l’on s’en étonne. Plus que le roi, il a besoin lui-même d’indulgence ; plus que le roi, le grand inquisiteur a subi les séductions de la femme ; toute la puissance de son à cœur, toute la fougue de son esprit, il la consume, il l’épuise à aimer une pauvre enfant abandonnée, recueillie par pitié a Saint-Ildefonse, et dont la reine a fait sa fille d’honneur. Froïlan a osé dire à Inès, — c’est le nom de la jeune fille, — à quel point elle s’est emparée de son ame, et Inès a pris en horreur la passion de cet autre Frollo. Voici le moment d’en faire la remarque : la donnée principale de don Carlos el Hechizado est de tout point celle de Notre-Dame de Paris ; M. Gil y Zárate s’est contenté de l’adapter à quelques personnages historiques de l’Espagne et aux mœurs du XVIIe siècle. C’est dans la manière dont il l’a traitée à son tour, c’est dans la fécondité