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fendre contre les pronunciamientos et les révolutions sociales, il lui était impossible de mieux choisir. Épuisé par une maladie qui défie la science, Charles II se tourne avec angoisse vers son confesseur, et le supplie de chercher à pénétrer un si douloureux mystère. Si la sainte-église elle-même est hors d’état de le soulager, de quelle autre puissance lui viendra la guérison ? Froïlan hésite à répondre. Les inquiétudes du roi s’en augmentent ; elles deviennent intolérables. « Parlez ! s’écrie-t-il la voix pleine de larmes ne me cachez rien ! Songez que votre ministère vous oblige à tout dévoiler !


FROÏLAN. — Seigneur, il ne m’appartient point de révéler…
LE ROI. — Ah ! il serait vrai ?…
FROÏLAN. — Quoi, seigneur ?…
LE ROI. — Je n’ai pas même le courage de le dire… On affirme… que je suis… possédé du démon !…
FROÏLAN. — Grand Dieu ! qui a pu vous apprendre ?…
LE ROI, avec désespoir. — C’est donc vrai ? Dieu saint ! Ah ! (Il se cache le visage dans ses mains qu’il mouille de ses pleurs.)


Dès ce moment, ce n’est plus Charles II, mais bien Froïlan, qui est le vrai roi d’Espagne ; Charles II tout entier lui appartient, corps et ame, cœur et volonté. Pour échapper à l’obsession qui est ici-bas comme le symptôme avant-coureur de la réprobation éternelle, Charles II conjure Froïlan de vouloir bien entendre l’aveu de ses fautes ; s’il ne tombe point à ses genoux, c’est que Froïlan prend en pitié un prince malade, arrivé au dernier degré de la débilité physique et morale ; Froïlan lui permet de rester assis. Tous les deux, confesseur et pénitent, cherchent la cause d’un état si misérable ; quels crimes a donc pu commettre un pauvre prince qui ne s’est jamais gouverné lui-même, pour être ainsi livré vivant aux peines de l’enfer ? Les crimes de la politique ? Évidemment, il n’en peut être responsable, lui que le pouvoir a écrasé toutes les fois qu’il a essayé d’en soutenir le fardeau. La seule faute qu’à toute heure le roi se reproche, c’est une faute d’amour, et c’est aussi la seule dont il lui soit impossible de se repentir. En vain ses confesseurs l’ont absous, il n’a jamais pu se réconcilier avec sa propre conscience ; le souvenir de cette faute rajeunit son ame ; c’est en lui qu’il trouve la force de supporter les maux dont il est accablé. C’était l’époque où il subissait la honteuse tutelle de ce Valenzuela, qui, pour l’éloigner des affaires multipliait à la cour les fêtes et les plaisirs énervans. Si Charles II n’avait pas été roi, l’amour l’eût sauvé peut-être ; mais à quoi lui pouvait servir d’aimer une vassale, si ce n’est à payer par toute une vie de remords quelques rapides instans de bonheur ? Il aima pourtant, et bientôt une fille,