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mieux encore : quelque temps après la représentation de son terrible drame, où la haine du moine éclate comme les obus un jour de bombardement, c’est M. Gil y Zarate, lui-même qui, dans ses pages magnifiques sur l’Esclaustrado (le Décloîtré), plaidait éloquemment la cause des religieux épargnés en 1834 et en 1835. On peut se demander comment de telles contradictions se sont produites dans un esprit élevé, et en vérité la question serait difficile à résoudre si l’on n’admettait que dans Don Carlos l’homme politique a voulu s’effacer complètement devant le poète.

Le héros de Don Carlos el Hechizado est le confesseur du roi Charles II, le père Froïlan Diaz, dont il a plu à M. Gil y Zarate de faire un grand inquisiteur en dépit de l’histoire. Dans le drame de M. Gil y Zarate, ce Froïlan est la perversité même de l’enfer incarnée, la perversité de l’enfer telle qu’on la comprend en un pays catholique. Dès la première scène, Charles II, ce roi imbécile dont les derniers jours s’achèvent tristement entre la peur de mourir et l’ennui de vivre, Charles Il ouvre à Froïlan son cœur oppressé. Pour lui rendre un peu de résolution et de courage, Froïlan lui fait un tableau magnifique de ses richesses et de sa puissance. Et, en effet, pourquoi donc se désespérer ainsi ? Est-il un autre roi qui se puisse comparer au petit-fils de Charles-Quint ? Quel autre sceptre sur la terre peut valoir le beau sceptre espagnol ? L’or et l’argent de tout un monde coulent à torrens dans les coffres du roi catholique. Pourquoi donc la vie lui pèse-t-elle ? Quel mauvais sort, pour employer une expression du poète, le livre sens défense entre les mains de la douleur ?

A toutes les consolations le roi demeure insensible ; le regard morne, le cœur éteint, il fait à son tour le tableau de ses misères : dans ses vastes royaumes, il n’est pas un Indien condamné au travail des mines, un bohême poursuivi par la faim, qui ne le prît en pitié, s’il pouvait l’entendre racontant à son confesseur tout ce qu’il lui a fallu souffrir. Le roi s’abandonne désormais à une destinée qu’il lui est impossible de conjurer ni de vaincre ; il voit le bien, il le désire, et pourtant il n’a jamais fait que le mal. Monté sur le trône, au milieu de toutes les factions déchaînées, jouet de leurs passions qui aspiraient à le retenir dans une perpétuelle enfance, il a été roi, mais de nom seulement. En vain il a vu son humiliation, en vain il a cherché à rompre ses chaînes ; s’il échappait à un joug, c’était pour retomber meurtri sous un autre. Toujours malade, il a compris, quel fardeau intolérable c’était de porter la couronne ; aux plus nobles, aux plus illustres, il aurait voulu donner sa confiance, et cependant ce sont les méchans qui, à