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LE COMTE. — Parfait ! Il paraît que vous me recevrez dans l’autre maison du marquis
LA BARONNE. — Mauvais plaisant !
LE COMTE. — Ce luxe au milieu duquel vous reluisez comme dans une châsse, c’est le marquis, j’en suis sûr, qui en doit faire les frais.
LA BARONNE. — Et pourquoi donc ?
LE COMTE. — C’est qu’il fut un temps où vous daigniez imposer un tel fardeau à mes débiles épaules.
LA BARONNE. — Bon ! qui se souvient d’un pareil temps ?
LE COMTE. — Qui ? tous mes créanciers.
LA BARONNE. — Ingrat ! comment avez-vous eu le cœur de m’abandonner toute seule à Paris ?
LE COMTE. — Ma foi ! ma chère ame, je te laissai comme je t’avais trouvée. Il me semble, d’ailleurs, que tu t’es consolée bien vite avec ce gros négociant qui t’emmena à Cadix.
LA BARONNE - Don Juan de Soto ! Le pauvre diable a fait faillite…


Arrêtons-nous un instant. La digne personne n’en finirait point de si tôt, si elle était forcée de dire comment, de vicissitudes en vicissitudes, elle en est venue à jouir de ce luxe extravagant dont elle est redevable aux prodigalités du marquis. Ah ! madame, soulevez un peu le coin de votre mantille, j’ai cru entendre la voix de Nérine racontant les mésaventures de jeu ou d’amour des fils de famille et des gentilshommes bas-normands. Et vous, mon beau comte, parlons franchement, ne seriez-vous point par hasard le seigneur Sbrigani ?

Par bonheur pour le marquis, il faut bien que tout prenne fin, même les intrigues et les conspirations qu’ourdissent le comte et la baronne contre son honneur et sa fortune. Le marquis est trop fier de la noble société qu’il a réunie dans ses salons pour ne pas la montrer à son oncle ; don Gregorio saisit avec empressement l’occasion de contempler face à face ce beau monde, dont on lui a fait de si étranges contes au fond de sa province. Il le faut voir, avec sa bonne grace de muletier maragato, présentant de groupe en groupe, à qui veut bien lui adresser une parole, son énorme tabatière d’argent, qu’il vient d’acheter au haut de la rue d’Alcala ! Tout à coup… ô prodige !… savez-vous qui don Gregorio s’avise de reconnaître dans cette fière baronne dont l’air superbe et les grandes manières l’avaient au premier abord ébloui ? Ni plus ni moins que la Juana Pantojo, l’ancienne servante du bonhomme,… un joli bijou, au demeurant, don Gregorio est trop juste pour ne pas le proclamer de lui-même, la plus habile main des Asturies, sans aucun doute, quand il s’agit de préparer aux pimens un guisado de poulets ! — La leçon est humiliante pour le