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viennent chercher l’heureux marquis de Rosa-Blanca. Quand il sort avec la marquise, à chaque pas il les rencontre qui le saluent et le complimentent ; vous diriez d’une continuelle ovation. Mais on comprend qu’il se décerne très rarement un pareil triomphe ; le grand ton exige qu’il raccompagne tout au plus deux ou trois fois par an, à l’église, au théâtre, à la promenade ; c’est à d’autres que ce soin revient. N’est-ce point assez pour lui que des fenêtres du salon il la puisse voir, dans son fringant équipage, entourée de personnages qui bien souvent ne sont rien moins que des ducs et des généraux ? Le marquis et son oncle s’éloignent, et la scène est occupée par de nouveaux personnages que M. Gil y Zarate n’a pas dessinés d’une manière moins piquante ; c’est le comte, c’est la marquise dont la toilette vient de s’achever. En vain le comte a-t-il essayé de lui apprendre à prononcer ce mot français de toilette avec cette gracieuse aisance qu’y pourrait mettre une de nos marquises du XVIIIe siècle ; jusqu’ici le galant y a perdu ses peines, la jeune femme n’a pu encore suffisamment assouplir son terrible accent d’Oviédo ou de Segura : en attendant mieux, sur ses jolies lèvres, ce mot charmant de toilette est devenu toaleta. Ici commence, entre le comte et la marquise, un dialogue pétillant d’esprit et de malice, où se trouvent scrupuleusement reproduites les manières des : coquettes madrilègnes. La marquise est hors d’elle-même : vous pensez qu’elle vient de sa toilette ? Détrompez-vous ; elle échappe à une véritable question. C’en est fait, la Mouchez ne sait plus déjà peigner une chevelure et la disposer en bandeaux lisses et chatoyans comme la chasse de jais d’une madone grenadine ; elle lui a fait aujourd’hui une tête qui doit effrayer les gens. Le comte s’empresse de la rassurer ; il est trop amoureux pour ne point la trouver charmante ; il déclare pourtant, sa conscience l’y oblige, qu’il manque à deux ou trois boucles un certain degré d’élégance.. Mais, en vérité, c’est votre faute, madame ! Quand vous procédez à une affaire si importante que celle de votre toilette, pourquoi donc vous enfermer comme une reine-mère dans son oratoire ? C’est là méconnaître les plus simples et les plus strictes lois du bon goût. Il est de rigueur qu’à une heure si décisive on convoque autour de soi admirateurs et amis. C’est le moment où une jeune femme se montre dans toute sa grace radieuse ; chacun s’empresse de la servir, et brûle pour ainsi dire l’encens sur l’autel de sa beauté. Celui-ci présente les essences parfumées ; celui-là, avec de frêles pincettes d’argent, ramène sur les tempes reluisantes une mèche rebelle qui essaie de lutter contre le peigne d’ivoire ; tel autre assiste la camerera quand elle replace les