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Nous sommes à peine aux premières scènes de la comédie, et déjà don Gregorio est excédé du luxe importun qui de toutes parts s’étale dans la maison de don Juan, du peuple de valets qui l’encombre, de ces visiteurs, protecteurs ou parasites, qui à tout moment y viennent affluer, de l’étiquette insupportable qu’il y faut constamment observer. Toutes ses heures sont indignement bouleversées ; à l’heure où autrefois il pouvait dormir à son aise, on le voit aujourd’hui veillant ou courant par la ville ; à l’heure où il dînait, c’est tout au plus s’il peut déjeuner maintenant. Encore deux jours d’une vie pareille, et don Gregorio meurt à la peine. Deux jours : encore, juste ciel ! il préférerait de beaucoup se résigner à ne plus voir son neveu que sur la colline spacieuse et ombragée de Josaphat, où, si l’on en croit les vieilles prophéties légendaires, l’ange du dernier jugement doit convoquer les bons Espagnols. Ce qui scandalise le plus Gregorio, c’est la parfaite indifférence où vivent à l’égard l’un de l’autre, un an après leur mariage, deux jeunes époux dont les amours romanesques avaient été pour tous, — même sous ce beau ciel des Asturies, où pour tous l’amour est l’affaire principale, — un vrai sujet d’admiration et, peu s’en faut, d’ébahissement. M. le marquis ne voit plus sa femme qu’aux heures des repas, et souvent il lui arrive de ne point lui adresser une parole. De son côté, Mme la marquise donné des tertulias où elle invite qui bon lui semble ; bals, promenades, spectacles et concerts, elle voit tout, elle est partout, et toujours sans M. le marquis. Don Gregorio entame à ce propos une tirade chaleureuse. Le marquis hausse les épaules ; il essaie de faire comprendre à son oncle les lois du bon goût et du savoir-vivre. Ne faudrait-il pas, en vérité, qu’il eût jour et nuit sa femme à ses côtés, ni plus ni moins qu’un escribano de Xadraque ? ne faudrait-il pas qu’il la célât et fît à la moindre occasion le boudeur ou le jaloux ? Ah ! don Gregorio, vous n’y songez point ! On ne se marie pas, quand on est d’un certain rang, pour imposer à sa femme le soin des petits enfans et du ménage : est-ce donc pour rien que l’on a des majordomes et des gouvernantes ? On se marie pour avoir du lustre ; ce sont les femmes qui étendent la réputation et le crédit, en Espagne surtout, où les marquises de vingt ans, fussent-elles plus jeunes encore de noblesse, seront toujours préférées à une douairière de la maison d’Ossuna ou d’Oñate, si fière qu’elle puisse être de ses titres et de ses parchemins. Par les femmes, les protecteurs vous arrivent en foule et d’eux-mêmes. Autrefois, quand don Juan Chinchilla avait besoin de recourir à leur bienveillance, c’était lui qui les allait trouver. Maintenant c’est tout le contraire : ce sont eux qui