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par Homère ; en goûtant, non sans faire la grimace, le vin que les Grecs gâtent à plaisir avec de la résine, il éprouverait une véritable satisfaction à penser que cet usage doit remonter à la plus haute antiquité, et qu’il est probablement l’origine de la pomme de pin placée à l’extrémité du thyrse bachique ; conjecture ingénieuse que je dois, comme tant d’autres choses, à M. de Châteaubriand.

La vie intérieure des Turcs tient elle-même, en beaucoup de points, à la vie des anciens. Les habitudes des musulmans sont en partie des habitudes grecques adoptées par leurs ancêtres. Souvent les Turcs ont fait pour la civilisation grecque ce qu’ils ont fait pour Sainte-Sophie : ils ont conservé l’édifice ; seulement ils ont placé le croissant au sommet. Sous ce rapport, habiter une ville turque, ce n’est pas tout-à-fait sortir du monde grec. Pour moi, quand j’errais dans les rues de Smyrne, sans cesse une porte entr’ouverte, qui laissait mon regard pénétrer dans une habitation turque, me donnait l’idée de l’existence domestique des anciens. La disposition des maisons turques, aussi bien que des maisons arabes, est calquée sur celle des maisons grecques et romaines. Point de fenêtres au dehors, une cour carrée entourée d’un portique, au centre de cette cour une fontaine, et dans la partie la plus reculée du bâtiment, le harem, qui s’appelait le gynécée. L’aspect d’un quartier de Smyrne brûlé récemment me rappelait les rues de Pompéï. À l’intérieur, même ressemblance ; les siéges placés le long des murs, dans la salle du palais des Phéaciens, sont déjà disposés comme des divans orientaux. Le mobilier d’une maison turque, composée surtout des tapis et des coussins, peut se résumer dans un vers d’Aristophane, qui montre, comme le remarque M. Leake, que les Grecs ont toujours meublé leurs appartemens de la même manière : observation qu’on doit étendre aux Turcs. Plusieurs usages de l’Orient, qui ne viennent pas des anciens Grecs, existaient du moins chez eux. Ainsi la coutume si générale de coucher sur les toits plats des maisons coûte la vie à Elpenor dans l’Odyssée. L’usage du voile a été grec avant d’être turc ; dans les temps héroïques, les femmes ne paraissent que voilées. Andromaque prend son voile quand elle sort pour aller au temple. Le voile thébain, tel que Dicaearque le décrit, ne laissant voir que les yeux, et cachant tout le reste du visage[1], est un voile turc, et l’on a retrouvé à Égine une figure en terre cuite de grandeur naturelle représentant une femme dont la bouche et l’extrémité

  1. Édition Manzi, p. 36.