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lambeaux et disperse au loin mes membres par les rues et les places de la ville ! Venez ! ce sera un beau spectacle, et tout-à-fait digne du roi don Pedro !


On devine que don Pedro ne peut long-temps écouter de sang froid les reproches de doña Maria ; peu à peu l’amour reprend le dessus dans son cœur. Le moment de la scène où la passion sort victorieuse de sa lutte contre le devoir est rendu avec une singulière énergie par M. Gil y Zarate :


Don pedro. — Eh ! qu’importe l’opinion du peuple ? qu’importe sa colère ? Je t’aime, et mon amour anoblit tout. Ah ! si l’on te menace !.. si un homme, quel qu’il soit, en voulait à ta vie !

Doña maria. — Il est bien loin, le temps où don Pedro, fidèle à son amour, méprisait les clameurs du peuple ; il pouvait alors protéger son amie ; alors c’était un roc dans la tempête ! Aujourd’hui, son ame n’est plus que terreur et ingratitude.

Don pedro. — Moi, je craindrais !

Doña maria. — Loyauté des jours écoulés, bravoure indomptable, qu’êtes-vous devenues ?

Don pedro. — Je craindrais !…

Doña maria. — Aujourd’hui, ce sont les grands qui commandent ici.

Don pedro. — Ah ! je leur prouverai bien ; que je suis encore don Pedro !

Doña maria. — Non, résignée à mon triste sort, j’attends la mort et je l’appelle de tous mes vœux Que doña Blanca ait tout votre amour !… qu’elle prenne place, à côté de vous, sur votre trône !.. que la Castille recouvre enfin un peu de paix… que tout le monde soit sauvé, je consens à mourir seule… Mais s’il est vrai que la première je vous ai inspiré une passion véritable, puissiez-vous du moins garder un faible souvenir de cette passion ! Mais non, que ma triste fin ne vous arrache jamais ni soupirs ni larmes ! Oubliez un jour, oubliez bientôt que je suis morte, sacrifiée à votre amour.

Don pedro. — Maria !…

Doña maria. — Je ne vous demande qu’une grace… je suis mère… Dans mes entrailles se fait entendre le cri énergique, le saint cri de la nature, et l’amour maternel les déchire… Peu m’importe de mourir ! Mais mes enfans… les enfans de mon ame… ce sont eux qui m’arrachent ces larmes… pauvres enfans !… Prince, ils sont votre sang ! Si leur mère vient à leur manquer, vous serez leur protecteur, n’est-ce pas ? Ils trouveront en vous un père. N’êtes-vous pas leur père après tout ? Que cet espoir m’accompagne dans la tombe…

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Vous me voyez à vos pieds, seigneur !… vous ne serez point insensible à mes plaintes, et les prières de l’amour maternel…

Don pedro. — Ah ! assez ! je n’y puis tenir davantage ! Toi seule es mon amie ! Je le comprends bien aux battemens de mon cœur, je ne puis avoir