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ne lira la pièce sans en vouloir presque à son frère don Enrique à ce bâtard de Transtamare qui, au moindre propos, lui va susciter les obstacles et les périls, en Aragon, en France, partout. Nous ajuterons que doña Blanca de Borbon abuse un peu trop de la résignation et de la mansuétude dont, en sa qualité de femme légitime, sacrifiée à une puissante et fougueuse maîtresse, la muse tragique lui fait un devoir. Il faut être bien convaincu qu’elle est la vraie fiancée du roi don Pèdre, la vraie reine de Castille, une princesse du vrai sang royal de France, pour comprendre que de beaux et galans chevaliers comme les Albuquerque, les Lope, les Alvar, ne lui aient point préférer cette doña Maria de Padilla, la vaillante favorite, à la parole de feu, aux prières plus impérieuses mille fois que les menaces, et dont les regards gagnaient des batailles, si l’on s’en rapporte aux chroniques du temps.

Au demeurant, Doña Blanca de Borbon accuse un très notable progrès dans la manière et le style de M. Gil y Zarate. On s’en peut convaincre par la scène où doña Maria de Padilla détermine son royal amant à rompre tout préparatif de mariage ; M. Gil y Zarate y assouplit sensiblement la raideur classique, et bien que la représentation de Doña Blanca remonte à une époque éloignée déjà, ce dialogue est demeuré dans presque toutes les mémoires au-delà des monts. Quelques parties de cette scène méritent d’être citées. Il est bon de remarquer à ce propos que M. Gil y Zarate ne ressemble point à la plupart des poètes de son pays, dont les vers, à la traduction, perdent leur éclat et leur valeur. Presque toujours, chez M. Gil y Zarate, la forme est énergique et brillante, mais, à notre avis, c’est là son moindre mérite. C’est avant tout de la force des idées, de la vérité même des sentimens que M. Gil y Zarate se montre préoccupé.


Don pedro. — Que vois-je ? Mes yeux me trompent, sans doute ! Grand Dieu ! Est-ce bien toi, Maria ?

Doña maria. — En vérité, je vous admire, ne deviez-vous pas m’attendre, seigneur ? Quand le ciel vous unit à une femme accomplie, et qu’à cette occasion tout le monde, à la cour et dans le royaume, vous bénit et vous félicite, n’est-il pas convenable que moi-même, comme tout le monde…

Don pedro. — Fuis, insensée ! Quel est ton dessein ? Si l’on te voyait ! C’est la mort que tu viens chercher ici, puisque tout le monde ici la désire et l’exige !

Doña maria. — Eh bien ! oui, je la viens chercher ! Venez, grand prince, et livrez-moi vous-même aux fureurs de votre peuple ; qu’il assouvisse enfin sa vengeance et trempe ses mains dans mon sang ; qu’il mette mon corps en