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sujet des deux pièces est emprunté à l’histoire nationale ; par l’élévation de leurs sentimens, par la fierté du langage, les personnages que M. Gil y Z&rate y met en scène sont dignes assurément de chausser le célèbre cothurne. L’action de Don Rodrigo commence à l’affront que le dernier roi goth fit subir à la fille du comte don Julian elle se termine à la ruine absolue de la monarchie, dans la journée fameuse du Guadalete. La vengeance du comte don Julian, l’amour mutuel de sa fille et du jeune don Teofredo, cette idole de l’armée et de la noblesse, que le père offensé ne peut déterminer pourtant à trahir son Dieu ni son roi, telles sont les passions qui défraient la pièce. Pour observer les trois unités de temps, de lieu et d’action, le poète a sacrifié à peu près complètement le rôle du roi don Rodrigo, et c’est un vrai malheur pour son œuvre. Le comte don Julian a beau faire, il a beau maudire le ravisseur, il a beau appeler sur sa tête les calamités de la guerre civile et de la guerre étrangère ; le spectateur doit infailliblement demeurer impassible. Vous ne lui avez pas montré l’injure, comme il la faut montrer au théâtre, non point racontée en quelques vers pompeux, à grand renfort d’images et de ronflantes épithètes, mais toute vivante encore, pour ainsi dire, et au moment où elle s’accomplit le moyen qu’il s’intéresse au ressentiment ? comment voulez-vous qu’il s’indigne contre ce malheureux prince qu’il voit toujours persécuté, repoussé, battu, livré dès la première scène à tous les ennemis de sa religion et de sa couronne, poursuivi jusqu’à la dernière par les imprécations violentes et les implacables malédictions ?

Pour le fond comme pour la forme, Doña Blanca de Borbon est de beaucoup supérieure à Don Rodrigo ; l’indomptable caractère de don Pèdre-le-Cruel y est retracé avec une grande énergie et dans des proportions qui parfois vous rappellent le Richard III de Shakspeare. Voilà précisément le défaut capital de la pièce tout l’intérêt porte ici sur don Pedro ; en dépit de ses emportemens et de ses violences, vous êtes surpris de voir qu’on n’éprouve pas la moindre pitié ni pour sa femme qu’il opprime, ni pour ses vassaux qu’à tout propos il force à faire un choix entre la révolte ou la mort. La mémoire du roi don Pèdre est demeurée populaire en Castille ; on lui pardonne aisément des cruautés dont un amour à chaque instant contrarié fut la cause unique ; il n’est pas d’homme en Espagne qui, au fond, quoi qu’il en dise, ne soit indulgent pour les excès auxquels vous peuvent porter de profondes et invincibles passions. M. Gil y Zarate lui-même n’est pas sévère outre mesure envers le roi don Pèdre ; personne assurément