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Patrocle, dans son enfance, tua le fils d’Amphidamas, ce qui le contraignit à se réfugier chez Pélée. Destinée des grandes choses ! influences des petites ! si Patrocle enfant n’eût pas joué aux astragales, comme font encore aujourd’hui les jeunes montagnards d’Arachova, Achille, qui n’eût jamais été son ami et son vengeur, serait resté sous sa tente, les Grecs seraient remontés sur leurs vaisseaux sans prendre Troie, et… nous n’aurions pas l’Iliade.

Le costume national des Grecs tient beaucoup du costume qu’ils portaient dans les temps héroïques. L’espèce de jambard de pourpre que portent les klephtes rappelle les knémides, chaussure caractéristique, des Grecs dans Homère. L’expression Grecs aux belles knémides, employée souvent par le poète, et que Voltaire a rendue par Grecs bien bottés, n’était ni ridicule, ni insignifiante. La knémide était la chaussure des Grecs[1], tandis que les Troyens portaient des pantalons nommés anaxyrides. L’épithète qui chez Homère s’applique aux Grecs par opposition aux Asiatiques renfermait une désignation nationale, européenne ; c’est comme si on opposait le schako de nos soldats au turban des Kabyles.

La cuisine homérique est encore aujourd’hui celle des palicares de la Grèce moderne. On embroche un mouton et on l’expédie exactement, comme faisaient Achille ou Ajax. Seulement, dans l’Iliade, c’est un bœuf qui sert de pâture aux héros affamés. La différence du bœuf au mouton mesure la distance du chef antique des Dolopes au capitaine thessalien, son successeur, peut-être son descendant, et, la distance de la poésie homérique à la chanson populaire du klephte. C’est le même type et le même génie, mais les proportions de l’héroïsme et de l’inspiration ont changé comme celles de l’appétit. Les repas moins primitifs du Grec des villes ont aussi un fumet classique. Dans le dessein de retrouver en Grèce l’antiquité sous tous ses aspects, un archéologue zélé pourrait y faire une savante étude de gastronomie poétique en savourant les anguilles du lac Copaïs, vantées par Aristophane et aujourd’hui fort appréciées par les moines, des couvens voisins, ou les anguilles du Strymon, célébrées par le poète Archesistrate, et dont le débit fait subsister presque à lui seul la ville de Mochori. Il aurait quelque plaisir à boire du vin de Lemnos, mentionné

  1. Les knémides étaient de métal, comme le prouvent un vers d’Hésiode et plusieurs vers d’Homère. La knémide moderne est en étoffe, mais l’ornement métallique que les Grecs appellent tsaprasia est un souvenir de cette origine. De plus, Dodwell dit que les bottes des Arnautes sont en argent. — Travels, t. I, 136.