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par les légendes de M. le comte Pocci, par la Vie de sainte Cécile de M. Guido Goerres, etc… Or, comment ces hardis champions se préparent-ils à la lutte ? Quelles sont leurs armes ? Des armes très inoffensives, des intentions très honnêtes, mais qui serviront peu leur fortune poétique, une simplicité extrême, la résignation la plus humble, un désir de médiocrité presque toujours satisfait, et je ne sais quelle profonde horreur pour l’ombre même de la pensée. La poésie méthodiste fait pénitence pour expier les témérités de M. de Sallet.

Ni ces alarmes puériles, ni les acclamations intéressées de l’école ne nous donneront le change. Le succès de M. de Sallet et de M. Schefer ne saurait être de longue durée. On aimera chez M. de Sallet une ame douce et ferme, honnête et sérieuse, un écrivain généreux mort avant l’âge et qui donnait de véritables espérances : on reconnaîtra chez M. Schefer une intelligence élevée, une ame ardente ; mais l’un n’a pas eu le temps d’élever son monument, et nous ne savons pas encore si l’autre abandonnera la voie funeste où il est engagé. Je me défie, je l’avoue, de cette poésie philosophique, car je vois toujours venir les commentateurs subtils, les interprètes alexandrins, les abstracteurs de quintessence dont il est question dans Rabelais. Toutefois, si une telle littérature est possible, si la Muse peut consacrer en de beaux symboles quelque grande doctrine, il semble que ces tentatives soient surtout à leur place en Allemagne, dans un pays où nulle intelligence cultivée n’assiste avec indifférence aux débats de la philosophie. Mais que de difficultés pour réaliser une telle œuvre ! Quelle conviction assurée doit posséder l’artiste ! quelle foi positive en cet idéal qu’il invoque ! et puis, quelle fermeté pour ne point se laisser subjuguer par les programmes officiels ! quelle supériorité ! quelle fière indépendance ! ce ne serait pas trop de l’impassibilité souveraine de Goethe. Hegel eût certainement exigé ces conditions de l’homme qui eût voulu confier à la poésie une traduction libre et vigoureuse de sa pensée. Ce grand esprit, qui avait de l’art une idée si haute, se serait-il reconnu dans les poèmes de M. Schefer ou de M. de Sallet ? On peut affirmer que non. L’auteur de l’Évangile des Laïques et l’auteur des Vigiles n’ont eu que les applaudissemens de la jeune école hégélienne ; ce n’est pas tout-à-fait la même chose.


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.