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de celui qui l’occupe : des ciseaux pour le tailleur, un rasoir pour le barbier, des tenailles pour le forgeron. C’est un usage grec. Ce qu’il y a de particulier aux Arméniens, c’est de constater de la même manière le genre de supplice par lequel ils ont péri ; si c’est par la corde, on dessine sur la pierre funèbre un gibet ; si c’est par le glaive, on représente le mort le chef coupé, et placé entre ses jambes.

Dans les îles Ioniennes, un voyageur a vu les amis, les parens, s’approcher d’un ami expiré, se pencher sur lui, murmurer à son oreille l’adieu suprême, puis porter sur sa tombe les gâteaux, le vin et l’huile, en l’invitant à prendre ce repas[1]. On retrouve là l’offrande funèbre, les libations, la croyance aux mânes qui boivent le vin. M. Fauriel, dans son introduction aux Chants populaires de la Grèce moderne, qui est un vrai chef-d’œuvre, a parfaitement décrit les myriologues, effusions poétiques de la douleur d’une épouse, d’une sœur ou d’une mère, en présence des restes d’un époux, d’un frère ou d’un fils[2] M Fauriel n’a pu recueillir que de courts fragmens de myriologues, et ce que Guys, et Mme Chénier nous en ont fait connaître est traduit trop librement pour donner une idée exacte de ce poème qu’improvisent les femmes grecques à l’occasion d’une perte domestique ; mais M. Fauriel a très judicieusement remarqué que nous possédons un véritable myriologue dans un passage du XXIVe chant de l’lliade. Priam a rapporté le cadavre d’Hector ; on l’a placé sur un lit dans l’intérieur du palais Auprès du mort se tiennent les chanteurs qui doivent diriger le chant funèbre ; ils entonnent ce chant, et les femmes en gémissant leur répondent. Alors la veuve d’Hector, Andromaque, commence sa plainte, qui se compose d’une allocution simple adressée à son époux et à son’ fils ; toutes les femmes accompagnent par des gémissemens les paroles d’Andromaque. Après la veuve, la mère commence sa plainte ; les gémissemens s’élèvent de nouveau. Enfin HéLène commence sa plainte ; cette formule ; répétée chaque fois qu’une des trois femmes prend la parole, pourrait se traduire commence à chanter son myriologue. La scène touchante qu’Homère place ici dans le palais de Priam se passe chaque jour dans la demeure du plus humble enfant de la Grèce. Les chanteurs y sont, et les femmes qui appartiennent à la famille expriment les regrets de tous comme le font dans l’Iliade Hécube, Andromaque, Hélène.

L’idée du myriologue moderne se montre aussi dans la poésie dramatique des Grecs. Le premier chœur des Suppliantes d’Euripide

  1. Grasset Saint-Sauveur, Voyage aux îles Ioniennes, t. II, 54-55.
  2. Fauriel, Chants pop., discours préliminaire, XXXIX et suiv.