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fiche le dessein de régler ses intérêts à l’exclusion de ceux des autres peuples ; on prétend se suffire en tout, on s’isole par des blocus volontaires. L’Allemagne et la Belgique échangeaient hier des aggravations de droits ; elles se rendaient rigueur pour rigueur, blessure pour blessure. Demain ce sera la France, ou la Hollande, ou bien l’Angleterre, berceau de la prohibition. Les états ainsi régis sont-ils plus heureux ? La prospérité y est-elle plus générale, plus soutenue ? Le travail s’y maintient-il dans une situation régulière par le seul fait qu’il se trouve placé à l’abri, de toute concurrence extérieure ? Les convulsions commerciales et industrielles sont là pour répondre. En revanche, il est quelques points de l’Europe, la confédération helvétique par exemple, qui n’ont pu ni voulu défendre l’activité locale au moyen d’un cordon de douanes, ce luxe des grands empires. En sont- ils plus mal partagés ? Y voit-on régner la misère qui décime les foyers industriels ? Les populations y sont-elles plus chétives, les races plus dégradées ? Ce régime libéral est-il la source d’une infériorité en toutes choses, et les met-il bien au-dessous des pays qui assurent leur propre production le privilège du débouché intérieur ? M. Rossi nous le dira. « La production suisse, lit-on dans son Cours[1], n’a pas cessé de s’accroître ; l’industrie agricole et l’industrie manufacturière y ont également prospéré. Sur le penchant des Alpes, à côté de la fumée pastorale des chalets, on voit s’élever les noirs et épais tourbillons de l’usine qui carde, qui file, qui tisse à la vapeur. L’Anglais, le Français, le Belge, le Saxon, rencontrent sur plus d’un marché l’industrieux Helvétien, qui, par le seul effet de son travail intelligent et de son esprit d’ordre et d’économie, parvient, à lutter avec les producteurs que le privilège favorise »

À la rigueur, on peut admettre qu’à l’origine des industries une protection a été légitime, afin de leur laisser le temps de se placer au niveau des pays les plus avancés et de fournir l’entière mesure de leur force. On doit reconnaître aussi que les intérêts créés sous l’influence d’un régime, même abusif, ont droit à tous les respects, à tous les ménagemens, et qu’une réforme ne peut être que l’œuvre des années. La science, qui est la vérité, doit savoir attendre ; elle ne désire pas une victoire douloureuse aux vaincus, mais une victoire inoffensive, lente, successive. L’essentiel, c’est que le principe soit mis au-dessus de toute atteinte, que le droit soit reconnu par ceux que les circonstances en ont fait sortir. Quant aux applications, le

  1. Page 353, vol. 2.