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les ont produites c’est en dominant les faits qu’on parvient à les modifier ou s’en défendre. Ainsi, en dehors même de cet amoindrissement du débouché extérieur qui a réagi sur le sort des artisans anglais une circonstance peu remarquée a donné aux souffrances dont les villes manufacturières sont le siége une intensité et une énergie que sans cela elles n’auraient jamais elles. Naguère encore, et pas plus loin que 1833, l’état ou les paroisses distribuaient, entre treize cent mille individus appartenant à la classe pauvre, une somme de huit millions cinq cent mille livres sterling, c’est-à-dire deux cent quinze millions de francs environ. En 1834, ces subsides de la bienfaisance furent brusquement supprimés : une loi frappa le paupérisme. Aux secours en argent on substitua des lieux d’asile où l’indigent devait trouver ce qui est nécessaire à la vie en échange de son travail. La réforme était utile ; malheureusement elle prit un tel caractère de dureté, les maisons destinées aux travailleurs furent assujéties à un régime si austère, que le but fut dépassé. Treize cent milles indigens furent mis, du jour au lendemain, en demeure d’opter entre la discipline de l’atelier public et le dénuement dans la liberté : six cent mille subirent le joug nouveau, sept cent mille demandèrent au travail libre ce qu’ils obtenaient autrefois de la charité officielle. Si le premier résultat de la loi fut d’épargner cent millions de francs à l’état et aux paroisses, en revanche il fallut que le salaire manufacturier combine ce vide et nourrît cette population déclassée. De là ce double effet d’une irruption soudaine de nouveaux-venus dans des cadres déjà pleins, et d’un avilissement de la main-d’œuvre par suite d’une offre excessive du travail. Combinée avec la diminution du débouché extérieur, cette affluence des pauvres dans la manufacture dut y apporter le principal élément d’une détresse dont on a fait de si sombres tableaux.

Quoi qu’il en soit, un enseignement a dû sortir de ces crises c’est que la suprématie industrielle ne s’acquiert et ne se maintient qu’au prix de grandes douleurs. En Angleterre même, cette conviction pénètre dans les esprits. Sans exclure la misère, le travail isolé ne lui communiquait pas une fermentation dangereuse et ne l’aggravait pas par de continuelles intermittences. Il semble que de tous côtés on s’accorde à voir les choses ainsi. Jamais plaintes plus vives ne se firent entendre contre les excès du régime manufacturier ; on le dépeint comme une école de débauche, comme une source d’infection murale. Les populations s’y étiolent et s’y dégradent ; on y abuse non-seulement de l’adolescence et de l’âge mûr, mais aussi de l’enfance ; on y écrase sous le poids d’un travail forcé non-seulement les hommes, mais les