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au souvenir de son ravisseur infidèle. Les voyageurs les plus récens remarquent que le jeune homme qui conduit le chœur se permet seul des bonds et des sauts périlleux que s’interdisent les autres danseurs. Il en est de même des cubistes, qui, dans la danse qu’Homère a dessinée sur le bouclier d’Achille, conduisent le chant et bondissent au milieu de la foule.

Nous devons à une Grecque aimable, mère du plus antique de nos poètes, à M. Chénier, quelques détails curieux sur la danse d’Ariane. Tantôt on l’exécute avec un fil qui rappelle celui du labyrinthe, tantôt avec un mouchoir. La personne qui tient le mouchoir dit ces paroles : « Navire qui es parti et qui m’enlèves mon bien-aimé, mes yeux, ma lumière, reviens pour me le rendre ou pour m’emmener aussi. » On voit que c’est Ariane qui parle, et le mouchoir est là pour essuyer ses larmes. Quand Ariane a chanté, le chœur lui répond sur le même air en s’unissant au sentiment qu’elle éprouve, à la manière du chœur antique : « Maître du navire, mon seigneur, et vous, nocher, ame de ma vie, revenez pour me la rendre ou pour m’emmener aussi[1]. » Les danses dans lesquelles les hommes figurent seuls sont moins gracieuses, mais bonnes à noter ici comme particulières à la Grèce, et offrant plus de ressemblance avec le chœur antique, où ne figuraient jamais ensemble des hommes et des femmes. Il y a un rapport frappant entre le chœur tragique qui se mouvait autour de l’autel de Bacchus et la ronde des Albanais que Leake appelle un chœur circulaire, et qui, d’après l’énergique peinture de Byron, semble avoir gardé le caractère orgiastique d’une danse consacrée à Bacchus.

L’expression de la douleur n’a pas été moins constante que l’expression de la joie ; plusieurs des anciens rites funèbres se sont fidèlement conservés. Tels sont les cris des femmes qui se font un devoir, et quelquefois font un métier, de leurs gémissemens. Telles sont les couronnes de fleurs placées encore aujourd’hui sur la tête des jeunes filles mortes. Pour les anciens, la couronne était un ornement funèbre. Il seyait bien à l’antiquité de couronner de fleurs la mort comme la vie, la tombe comme l’hyménée.

Souvent, sur les sépultures antiques, on a sculpté les instrumens de la profession du mort, et, dans l’Odyssée, Ulysse place une rame sur le tombeau d’Elpenor. Aujourd’hui, au cimetière des Arméniens, à Constantinople, on voit gravé, sur chaque tombe, l’emblème de la profession

  1. Cette lettre se trouve dans le Voyage littéraire de Guys, t.I, 196. M. Labitte en a parlé dans sa spirituelle biographie de J. Chénier. — Revue du 15 janvier 1844.