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diverses, c’est poursuivre une chimère et introduire dans l’économie politique le procédé de Procuste. L’idéal de l’état du marché serait de n’y présenter qu’une quantité de marchandises égale aux besoins et d’y maintenir cet équilibre, comme aussi d’y faire prévaloir des prit d’une mutuelle convenance, éloignés de bénéfices exagérés et de rabais excessifs. Or, qui ne comprend que c’est là un rêve où le bienfait n’est qu’apparent et dans lequel l’esprit d’ordre étoufferait l’esprit de liberté ? Qu’est-ce d’ailleurs que le besoin ? En pourra-t-on jamais obtenir la mesure fixe, invariable ? N’y faut-il pas laisser une grande part à l’imprévu, à l’éventuel ? Somme toute, l’état du marché est et doit rester nécessairement aléatoire, chacun réglant volontiers sa conduite sur le voisin et se déterminant par nécessité plutôt que par calcul.

Comme la théorie des frais de production, celle du fermage de la terre, qui appartient également à Ricardo, est empreinte d’une ou leur trop spéculative, et touche de très près au sophisme. Ricardo pose en principe que la valeur des choses ne se compose que du travail qu’elles ont coûté, et que le fermage n’entre pour rien dans le prix des produits obtenus du sol. C’est exactement comme si l’on disait que le louage d’une machine, d’un instrument, n’est pour rien dans le prix d’un produit industriel. Il est vrai que l’économiste anglais n’a pas présenté son idée d’une manière aussi crue, et qu’il a su l’entourer de voiles qui empêchent de distinguer sur-le-champ ce qu’elle a d’échange et d’erroné. Les comparaisons les plus spécieuses, les considérations les plus abstraites semblent accumulées à dessein pour donner le change à l’esprit, et il en résulte de telles ténèbres, qu’au dire de Ricardo lui-même, vingt-cinq personnes au plus se sont, en Angleterre, rendu compte de ce qu’il a voulu dire. Il faut dès-lors laisser à ce petit nombre d’élus le soin d’en peser le mérite.

Le problème soulevé par Malthus a plus de clarté et une portée plus grande. À le résumer en peu de mots, c’est la théorie de la prévoyance au point de vue de la multiplication de l’espèce. Malthus a voulu opposer une digue à cette fécondité presque bestiale qui entraîne certaines populations, et, pour cela, il a évoqué un épouvantail, la famine. À ses yeux, le mouvement des subsistances ne peut plus désormais se mettre en équilibre avec le mouvement ascendant des populations, et si des pratiques de continence n’arrêtent pas cette progression menaçante et fatale, la terre, si vaste qu’elle soit, ne suffira bientôt plus à la nourriture des hommes. Ainsi parle Malthus, et il appuie son hypothèse de chiffres terribles. Heureusement que, sous