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particulier et pleins d’anomalies qui constituent la vie des divers cantons et l’obligation de contenir les réformes fédérales dans de telles limites qu’elles ne portassent point atteinte à l’organisation intérieure des états confédérés. M. Rossi apporta dans la solution de ce problème tant de mesure, de précautions et de soins, il ménagea si bien toutes les répugnances et tous les scrupules, que son rapport et le projet qui le couronnait furent adoptés par la commission à l’unanimité. Elle en ordonna la traduction en italien et en allemand, et il fut publié à un grand nombre d’exemplaires dans les trois langues officielles de la confédération suisse. Le projet fut discuté ensuite et accueilli par la diète assemblée à Zurich.

Rien ne semblait s’opposer à la promulgation du nouveau pacte, qui avait pris et a conservé dans le pays le nom de pacte Rossi. Il avait passé par les épreuves des pouvoirs législatifs et renfermait la somme des améliorations compatibles avec l’état de la république, alors livrée à des dissentimens profonds. L’affaire semblait donc marcher vers une issue heureuse, quand une dernière formalité vint tout remettre en question. D’après la loi suisse, le vote de chaque commune doit sanctionner celui de la diète pour les mesures qui touchent aux grands rapports de la confédération. Le pacte fut soumis à cette épreuve définitive, qui ne lui fut pas favorable. Dans le canton de Lucerne, il fut repoussé par les communes rurales sous l’empire des intérêts locaux, et par suite de l’opposition combinée des partis extrêmes qu’appuyait une faction monacale. Cet échec dans le canton qui devait être le siége permanent de l’autorité fédérale paralysa tout le projet fut retiré, et aujourd’hui la Suisse regrette d’avoir laissé échapper cette occasion, unique peut-être, de sortir de l’état de faiblesse et de tiraillement où elle se trouve.

Cet échec ne semble pas avoir été sans influence sur une détermination que prit alors M. Rossi. Il comptait en France des amis dévoués, qui depuis long-temps l’engageaient à se produire sur un théâtre plus vaste et devant un auditoire plus nombreux. Deux d’entre eux, MM. de Broglie et Guizot, venaient, à la suite de la révolution de 1830, d’être portés aux affaires, et tout conseillait à M. Rossi de se rapprocher d’appuis aussi précieux, aussi sûrs. Avec de pareilles sympathies et la conscience de sa valeur, il n’aurait pas dû hésiter ; il hésita pourtant : cette perspective ne l’éblouit pas. Il aimait Genève, pour lui si hospitalière ; il en était l’enfant adoptif. Tout y avait adouci, charmé son exil ; il y avait trouvé les joies du cœur, les plaisirs de l’intelligence, il