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isoler ni des temps, ni des lieux, ni des circonstances. Quoiqu’il en soit, les blessures que M. Rossi porta à l’école dont il se séparait durent être bien vives, puisque Jean-Baptiste Say écrivait à Dumont de Genève : « Je suis furieux contre quelques docteurs qui nous représentent comme des espèces de coquins, et qui ont l’air de nous faire grace en nous appelant des sensualistes, après avoir eu bien soin de faire comprendre qu’ils entendent par là matérialistes. Singuliers scélérats, en vérité, qui consacrent leur vie au plus grand bien du plus grand nombre ! »

M. Rossi se partageait ainsi entre le soin d’importantes publications et les devoirs de la vie politique, lorsque les évènemens de 1830 lui imposèrent un nouveau rôle. À la chute de l’ancienne dynastie qui régnait en France répondit en Suisse la chute du gouvernement aristocratique. Le lien qui unissait les cantons entre eux fut ébranlé, et il fallut songer à mettre les institutions fédérales en harmonie avec la situation nouvelle. C’était un temps d’épreuve, presque une crise, et le choix des hommes chargés de délibérer sur d’aussi graves intérêts devait exercer une influence décisive sur le repos actuel et les destinées futures de la Suisse. Genève délégua trois fois M. Rossi pour la représenter à la diète, sûre de sa prudence et de sa fermeté.

De tous les états européens, la confédération suisse est peut-être celui dont l’organisation est la plus compliquée et la plus difficile à connaître. Composée d’états souverains qui diffèrent entre eux par la langue, par la religion, les mœurs, les lois, autant que par le climat, la configuration physique et toutes les conditions économiques et sociales, d’états qui n’ont ni la même origine, ni la même histoire, ni les mêmes besoins, ni les mêmes intérêts, la confédération helvétique n’existe que par une sorte de miracle qui se renouvelle tous les jours, qui honore le patriotisme des Suisses, mais dont la durée, sans cesse compromise, n’éveille pas assez leur sollicitude. Au XVIIIe siècle, la Suisse n’eut pas d’histoire. Elle paraissait s’amoindrir, s’affaisser sur elle-même, comme si elle eût été fatiguée de ses anciens exploits. Des aristocraties sans lumières et sans grandeur, des démocraties encore peu éclairées, des nobles et des paysans opprimant comme souverains des populations nombreuses et asservies qui les valaient à tous égards, voilà le spectacle qu’offrait ce pays lorsque la révolution de 1789 éclata au pied de ses montagnes. On connaît l’histoire de ce temps. Des patriotes suisses, poursuivant un plagiat malencontreux, rêvèrent une république une et indivisible, tandis que les hommes du privilège voulaient continuer le moyen-âge. Après des luttes sanglantes et d’af-