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presque un sixième sens. Dans ces conditions, la pensée se fait jour sans embarras, sans travail ; les mots qui la rendent arrivent naturellement sur les lèvres. Il n’en est pas de même quand on a recours à un dialecte étranger : à l’instant l’émission des idées se complique d’une opération de plus ; il y a traduction mentale, rapide si l’on veut, mais forcée.

Voilà l’une des difficultés contre lesquelles eut à lutter M. Rossi : elle fut promptement vaincue. La langue française n’eut bientôt plus de secrets pour lui ; il en pénétra les délicatesses, en devina les ressources, et acquit peu à peu ce style ferme et correct, élégant et précis, qui distingue ses ouvrages. Il est rare qu’un étranger puisse prétendre à des résultats si complets, et parmi les Français, les très bons écrivains seuls y arrivent. Cependant une autre difficulté subsistait encore, difficulté purement mécanique, celle de l’accent et de la prononciation. Malgré tous ses soins, M. Rossi ne put en triompher entièrement : aujourd’hui encore il sacrifie parfois à la prosodie et à la mélopée italiennes, et porte à la tribune et dans sa chaire ce témoignage de sa première nationalité. Cela surprend d’abord, mais facilement on s’y habitue. Ce débit a quelque chose de musical qui en relève la singularité, et la parole est d’ailleurs si choisie, si transparente, en un mot si française, qu’on oublie sans peine l’accent qu’elle emprunte.

En même temps qu’il se formait ainsi un instrument nouveau, M. Rossi fortifiait l’ensemble de ses études. L’histoire, le droit public, l’économie politique, attirèrent successivement son attention ; il se mit au courant des travaux les plus récens, les jugea avec sa pénétration ordinaire, et se sentit bientôt en mesure de les dominer. Les langues l’attirèrent ensuite ; l’allemand et l’anglais lui devinrent familiers. Ces exercices ne l’empêchaient pas de cultiver l’idiome natal ; en 1817, il publia une traduction en vers Italiens du Giaour de lord Byron : excursion singulière dans le domaine de la fantaisie, et qui semble être le seul tribut qu’un esprit si sérieux ait payé au culte de l’imagination.

À mesure que M. Rossi prenait racine à Genève, ses amis éprouvaient un désir plus vif d’y assurer sa position. Il avait ouvert en 1818 Un cours libre de droit public : on s’entremit pour le convertir en cours officiel, et en 1819 il fut reçu à l’académie de Genève comme professeur de droit romain et de législation criminelle. Ce choix était presque un évènement. Jamais spectacle pareil n’avait été donné dans cette enceinte où régnait toujours l’esprit sombre de Calvin. Un catholique venait pour la première fois d’en forcer les portes ; le poison pé-