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les plus indisciplinés[1]. » La Laconie est célèbre par la beauté de ses femmes, de nos jours comme au temps d’Homère, qui appelle Sparte la ville aux belles femmes. La Béotie répudiera, je n’en doute pas, l’héritage proverbial de son passé. En attendant, on assure que les Béotiens, ce que je n’ai nullement éprouvé, ont gardé quelque chose de la rudesse de leurs aïeux, et qu’ils ont encore le caractère inhospitalier dont parle Dicaearque. Il est impossible de ne pas être frappé de ce qu’on lit chez un voyageur récent[2], que les habitans de Topolia, au bord du lac Copaïs, en pleine Béotie, n’ont pu trouver, après la révolution, personne qui sût lire ou écrire, pour organiser la commune.

Ce n’est pas seulement dans la Grèce proprement dite que les mœurs domestiques des anciens Grecs se sont conservées en partie jusqu’à nos jours. M. Leake dit expressément que dans l’Ionie elles lui semblent avoir peu changé depuis Homère[3]. A Alexandrie, les femmes portent leurs enfans sur une de leurs épaules ; c’est ainsi qu’Andromaque porte le petit Astyanax, sur un vase où sont représentés les adieux d’Hector. D’autre part, à Chalcis en Eubée, on apporte au voyageur l’eau destinée à laver ses mains dans un vase à long col, qui est le prochoos d’Homère, tel que le montrent les monumens. Quel pays que celui où une fille d’auberge, en vous donnant un pot à l’eau, vous fait songer à Homère

Au reste, en Grèce, on est reporté sans cesse du sein de la vie journalière vers la vie poétique de l’antiquité. Le voyageur introduit dans une famille grecque est accueilli à peu près comme le fut Télémaque à Pylos par Nestor, ou à Sparte par Ménélas. Le maître de la maison va au-devant de son hôte, l’embrasse, le prend par la main et le conduit dans la salle de bain, où il trouve du linge et des vêtemens. L’usage homérique d’accueillir un étranger en l’invitant à manger et à boire avant de l’interroger, cet usage est évidemment l’origine de celui qui de nos jours prescrit de présenter à tout visiteur des confitures et du café. C’est comme un repas abrégé auquel les habitudes modernes ont joint la pipe ; mais le principe et toujours le même, s’occuper d’abord du bien-être de son hôte, et lui offrir une réfection quelconque avant de commencer à s’entretenir avec lui. On donne aujourd’hui le baiser sur les yeux dont parle Homère, et le baiser en

  1. Gell, Itinerary of Greece, pref. II.
  2. Ulrichs, Reisen und Forschungen. (Voyages et Rcherches), p.201, 1840 ;
  3. Lake, Northern Greece ? T. IV, p. 146.