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ment que l’on sort des voies de la vérité. Tantôt la loi brise elle-même l’arbitraire qu’elle a établi, tantôt les évènemens politiques s’en mêlent et opèrent un violent retour au droit commun. Même pour les intérêts cantonnés dans le privilège, la liberté est donc une condition meilleure et plus sûre ; ils devraient le sentir et moins s’en défendre. C’est le contraire qu’ils font, et de là une lutte ouverte.

Rien n’est plus fâcheux que cette situation. L’empire et la restauration nous ont légué un régime industriel et agricole basé sur une protection presque sans limites, et il en est sorti une multitude d’intérêts artificiels qui se sentent mal à l’aise, se nuisent mutuellement et cherchent leur voie à tâtons. Les uns demandent en excès précisément ce qui constitue leur faiblesse, les autres réclament, comme remède à leurs maux, ce qui doit causer du tort au voisin. On ne sait à qui entendre, ni qui secourir ; si l’on se porte vers celui-ci, on froisse celui-là ; l’immobilité est aussi douloureuse que le mouvement. À bien étudier le mécanisme de la protection, on s’assure qu’à chacun de ses prétendus bienfaits correspond un dommage réel, et tout ce que l’on peut se promettre d’un tel système, c’est que les bienfaits et les dommages se fassent équilibre. Ainsi la protection accordée aux produits du sol élève le prix des denrées nécessaires à la vie et frappe les manufacturiers en réagissant sur le taux du salaire tandis que la protection accordée aux produits de l’industrie atteint à son tour les consommateurs agricoles, obligés de payer une prime au privilège manufacturier. Tel est le jeu de la protection ; elle détruit d’une main ce qu’elle fait de l’autre, et cela dans toutes ses applications : d’où il est naturel de conclure que l’on se donne un mal infini pour obtenir des résultats au moins nuls et substituer partout une vie précaire au libre développement de nos forces. Ces vérités élémentaires, l’économie politique a le tort de les proclamer, et les intérêts protégés ne le lui pardonnent pas.

D’autres causes d’affaiblissement ont pris naissance dans son sein même. Il fut une heure où la science avait le champ libre devant elle. Avec les derniers physiocrates venait de disparaître la seule hérésie considérable ; rien ne troublait plus l’horizon ; toute protestation semblait éteinte, toute inimitié désarmée. C’était le cas de se mettre hardiment à l’œuvre et d’agir avec concert. Au lieu de prendre ce parti, que font les économistes et les plus éminens d’entre eux ? Ils engagent des querelles sans fin pour des subtilités d’école. Ricardo se jette dans des formules abstraites sur la valeur et sur la rente du sol ; Malthus pose son problème de la population ; Sismondi se réfugie dans le