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au milieu de beaucoup d’ombres, et après lui s’élèvera l’école dont il est le chef, et qui compte une suite de disciples éminens. Dans l’ordre des dates et des mérites, Jean-Baptiste Say commence cette série : il apporte sur le terrain économique les ressources d’un esprit net et sensé, une sûreté rare dans la conception, une lucidité parfaite dans le style. David Ricardo a les qualités opposées, et les pousse jusqu’à l’abus ; il est le métaphysicien de la science, comme Sismondi en est le critique. Ce dernier semble même incliner vers le schisme ; mais il est au fond plus orthodoxe qu’il n’affecte de le paraître, et, après avoir proposé ses doutes, il avoue l’impuissance où il est d’en tirer aucune conclusion. Quant à Malthus, à part son, problème de la population, qui n’est guère qu’une digression économique ; il demeure fidèle à Adam Smith, comme Mac-Culloch, Mill, Storch, Senior et Thomas Tooke. C’est alors le beau temps de la science ; elle règne dans les livres et dans les chaires, elle fait même un pas de plus et entre, avec Huskisson et Henri Parnell, dans les conseils de la couronne. La France ne reste pas en arrière de cette impulsion, et il s’y forme un groupe d’économistes dont nous aurons ici à apprécier successivement les titres.

La science est donc fondée ; rien ne lui manque, ni la sanction du temps, ni l’autorité des noms. Elle a rallié sous son drapeau des esprits spéculatifs, comme Smith et Say, des hommes pratiques comme Huskisson et Turgot. D’où vient que ce cortège de célébrités, cette suite de livres et d’écrivains, n’ont pu la défendre contre les dédains des uns et les attaques des autres ? Comment se fait-il qu’une doctrine qui a de tels précédens soit encore remise en question et contestée dans son ensemble ? Cela tient à plusieurs causes, les unes extérieures, les autres intérieures, pour ainsi dire.

Parmi les obstacles extérieurs, il faut oublier les effervescences juvéniles et la prétention de tout refaire qui semble être l’une des maladies du siècle. Si l’économie politique n’avait eu à combattre que de pareilles révoltes, son autorité n’en aurait reçu que d’insignifiantes atteintes. Malheureusement, au bruit que menaient autour d’elle de petites vanités sont venues se joindre des agressions sourdes de la part des intérêts privilégiés qu’elle menace. Pendant que l’orage grondait sur sa tête, on minait le terrain sous ses pieds. Pour quiconque a étudié, ne serait-ce que superficiellement, les problèmes économiques, il est démontré qu’en livrant les intérêts à leur marche naturelle, la science n’accomplit pas seulement une œuvre de justice, mais encore de prévoyance. Tôt ou tard le privilège s’expie : ce n’est pas impuné-