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première proie, au plus rusé la seconde. Ces philosophes-hyènes mériteraient qu’Héliogabale et Tamerlan les nommassent, leurs législateurs.

Une fois cette insurrection contre la probité, l’imagination, la poésie et la philosophie, devenue universelle, l’humanité n’a plus qu’un but, celui de vivre, et de se battre pour vivre, fruges consumere nati ; tout cela est d’accord et bien en harmonie. Il y a au contraire, comme le dit Emerson, une croisade à entreprendre aujourd’hui en faveur de l’intelligence et du dévouement, contre le moi, l’égoïsme, l’avidité, la brutalité pillarde. La devise de cette ligue serait au contraire : Dieu pour chacun ! chacun pour tous ! C’est la devise des grandes races, c’est le thème civilisateur ; le reste doit aller se confondre dans les égouts, du bas empire. Le passage précédent de l’auteur américain prouve que cette sainte ligue contre les intérêts égoïstes ne serait pas hors de propos ; c’est à la France, non de s’engager dans une voie de sensualité fatale, mais de marcher à la tête de cette croisade généreuse.

Tous ces nouveaux auteurs américains, qui ne valent ni Franklin pour la bonhomie, ni Washington Irving pour l’aménité, ni Cooper pour la force et la précision des tableaux, ne manquent jamais, tels vulgaires qu’ils soient, de s’intituler esquires : Cette petite distinction chevaleresque orne le titre de leurs romans remplis de trivialités inexprimables, et ce n’est pas un des caractères les moins plaisans du peuple nouveau que le goût vif ou plutôt l’engouement qu’affichent pour les titres de noblesse les adorateurs de la populace. Avec ses penchans aristocratiques, le Yankee est susceptible comme un provincial ; il prend feu dès qu’un étranger s’avise de reprocher une imperfection à l’Amérique. On formerait une bibliothèque des réponses imprimées que le voyage de M. Dickens a fait naître. La plupart de ces livres n’ont pas beaucoup de sel, quoiqu’ils aient beaucoup de colère ; le plus remarquable porte ce titre singulier : Monnaie des Notes de M. Dickens, par une Dame américaine. Ce dernier, homme d’esprit, avait intitulé son livre : Notes à mettre en circulation ; le mot note signifie, comme on sait, note et billet de banque. Nous ne croyons pas que la monnaie de la dame soit suffisante. Notre voyageuse est amère sans originalité ; elle raconte tout ce qu’elle sait des travers, des vices et des folies de l’Angleterre, et elle sait peu de chose. « Les hommes, dit-elle, y sont grossiers, les femmes mal mises, les maisons uniformes, et le coup d’œil de la brique éternelle est ennuyeux. » Où sont la nouveauté, la vivacité, la profondeur ? nous craignons que la lady américaine n’ait pas rendu à M. Dickens « la monnaie de sa pièce. » Rien de plus trivial