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plus pauvres adressent à leurs enfans un proverbe dont le sens, est celui-ci : « Apprenez, pour ne pas ressembler aux animaux ; » ils s’écrient, déplorant leur propre sort : « C’est pour nos péchés que Dieu nous a condamnés à être ignorans. » Un des exemples les plus frappans de ce désir universel d’apprendre a été donné par l’illustre Canaris, qui n’était, au commencement de la guerre, qu’un simple marinier d’Hydra ; après la victoire, après avoir inscrit son nom au premier rang parmi les noms des libérateurs de son pays, il s’est avisé qu’il ne savait pas lire, et, à plus de cinquante ans, le glorieux héros, devenu gouverneur d’une place forte, s’est mis à épeler comme un enfant. Telle est la soif d’instruction qui dévore ce noble peuple ; on voit bien que c’est lui qui a créé les lettres et les a ranimées dans l’Occident.

Oserai-je parler des défauts qu’on reproche aux Grecs modernes, et y retrouver encore un héritage de leurs pères ? Il me semble que cette association même ôte à mon rapprochement ce qui pourrait blesser. Du reste, tous les peuples en sont là, tous portent dans le sang le germe de quelque imperfection héréditaire, et ont, en général, la sagesse d’en convenir. Les Français se résignent de trop bonne grace à être les descendans de ces Gaulois vaillans, mais légers et indisciplinés, pour que les Grecs puissent se scandaliser beaucoup si quelques traits décochés contre leurs ancêtres viennent les effleurer. Ainsi l’Athénien est plaideur comme au temps de Lucien. Les Grecs, en général, aiment les procès comme au temps d’Hésiode, et on pourrait leur adresser le conseil que le poète d’Ascra donne à son frère, « que le goût de la chicane ne te détourne pas du travail ! »

Peut-être pour devenir la patrie de la fiction, pour créer les ingénieux mensonges qui charment encore tous les peuples civilisés, fallait-il que le peuple grec eût cette disposition innée à feindre et à mentir, qui fut proverbiale dans l’antiquité, et dont les voyageurs modernes sont encore aujourd’hui frappés. Je ne parle pas du mensonge intéressé, qui est de tous les pays, mais du mensonge gratuit, cultivé pour lui-même, pour la beauté de l’art de mentir, pour avoir, à ses propres yeux, la gloire d’un génie inventif et

........ D’une imaginative
Qui ne le cède en rien à personne qui vive.

Quand M. Leake reprochait à ses guides un mensonge, ceux-ci répondaient : Il fallait bien dire quelque chose. Ulysse, le sage Ulysse, mentait aussi pour dire quelque chose ; il ment au fidèle Éumée, et