Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/530

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme il a aimé, loyalement, tristement, sans espoir avec une modestie trop vraie. — Parmi toutes les espèces d’ames étranges. qui se trouvent répandues en ce bas monde, celle-ci me séduit et m’émeut particulièrement, c’est une espèce rare ; les arrogantes, les impudentes, les vénales, les ames de bateleurs et de condottieri ne manquent pas, celles qui font violence à la gloire et à l’amour. Mais ce pauvre mélancolique poète, qui écrivait dans sa boutique pour lui-même, pour consoler son mal secret, pour soulager sa veine, je l’aime en vérité. Il avait peut-être placé son amour « dans quelque haut lieu, » comme on disait sous le règne de Malherbe : lady Montrose, ou lady Campbell, où lady Clanricarde, ou lady Gordon, qui sait ? De ce secret amour des vers délicieux sont éclos ; il n’osait les publier, et ne voulut pas en faire d’argent, ni de moyen de fortune. Que tout cela me paraît aimable ! Cet obscur Wilson vivait du temps de Rousseau et de Vauvenargues, du temps de Gray, autre mélancolique curieux à étudier ; à côté de Burns, ame inquiète comme celle de Rousseau, voix vibrante comme celle de Béranger ; près de Mackenzie, ce doux Écossais, et de l’Anglais Cowper, ce timide instrument poétique, qui craignait le souffle des hommes et ne résonnait que dans la solitude, à l’ombre fraîche des grands ormes balancés par le vent.

Wilson de Paisley, le droguiste, était de la race de ces intelligences sensitives qu’il ne faut pas mépriser ; c’est un des tempéramens du génie et des plus exquis. Nous demanderons à d’autres des machines pour filer. Les fleurs ne traînent pas la charrue, elles donnent un encens perpétuel, et l’encens des beaux vers est plus divin, il ennoblit la race humaine à travers les temps. Quant à l’excès de sensibilité nerveuse qui caractérise ce poète endormi et ressuscité, il faut penser que c’était une maladie du XVIIIe siècle finissant. Le courant électrique qui soufflait depuis 1710, était devenu trop violent, tout se précipitait ; les ames avaient la fièvre, et les plus tendres souffraient mortellement. Au XIXe siècle, aujourd’hui, nos vices sont autres, et ce n’est pas l’excès de la délicatesse qui nous fait mal.

Je voudrais que ceux qui me lisent pussent comprendre et partager le plaisir inattendu que les vers de Wilson m’ont donné ; mais ici, comme dans toutes les exquises poésies, le rhythme et la forme étant pour beaucoup, je me trouve embarrassé. Les idées de Wilson sont d’ailleurs fort naturelles ; ce sont des sentimens plutôt que des idées, des sentimens vrais, rendus avec une ingénuité passionnée ; pas une nuance de plus, pas une teinte de moins. « Ce n’est rien qu’un nom, disent-ils. — Rien ! Qui a pu le penser ? — Un nom, mais c’est