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perd ce mot romain : « Je te rends à la liberté, fille, de la seule façon possible ; hoc te uno quo possum modo, fila, in libertatem vindico ! » - Libertatem ! c’est la note sensible. Au lieu de cela, le, Virginius anglais prie sa fille de lui passer ses petits bras autour du cou, et de baiser son père une fois encore. Tout ce que nous disons ici d’ailleurs, à l’appui d’un principe littéraire de la plus grande importance à établir, et dont les conséquences sont nombreuses, n’empêche pas que le tour de force exécuté par M. Macaulay ne soit digne d’attention, d’admiration même, car les preuves d’énergie dans la pensée et d’assimilation avec la marche générale de la civilisation romaine primitive y sont nombreuses. C’est surtout dans la reproduction des mouvemens populaires que le poète moderne excelle ; il n’a plus alors à peindre l’individu romain à une époque marquée, mais des masses humaines, dont les passions et les grands chocs se ressemblent toujours.

Un fait poétique moins grave, mais curieux, c’est le suivant. — A Paisley, en Écosse, un droguiste sentimental, affligé d’une passion profonde et secrète pour une beauté inconnue, commet une longue pièce de vers, tous hexamètres, rimant bien et sur leurs pieds, en l’honneur de ces charmes idolâtrés. Ajoutons à ce commencement de vaudeville que l’apothicaire ou le droguiste désespéré n’adressa jamais un seul mot à sa belle, et l’aima sans lui parler jusqu’à l’âge de cinquante-six ans, qu’ il ferma tristement sa boutique, courut le monde pour oublier sa passion, enfin qu’il mourut obscur dans sa ville natale de Paisley, tout au bout du monde européen, en 1750. Il s’appelait James Wilson, et l’on vient de publier son poème intitulé : Silent Love, « l’Amour qui se tait. ». — Le manuscrit était resté entre les mains d’une sœur cadette pendant trente-cinq ans.

Rien n’est plus touchant, plus pur de forme, plus, élevé de pensée, plus vrai de sentiment, que le petit poème de James Wilson[1]. En lisant ces vers si doux, qui ne sont pas le voile, mais l’écho épuré d’une émotion profonde, on ne peut s’empêcher d’aimer l’apothicaire ; on voudrait pour soulever un coin de cette biographie perdue de ce roman secret et pathétique comme il y en a tant dans cette vie. Littérairement, Wilson a fait un petit chef-d’œuvre ; c’est dommage, que quelques détails portent la trace d’une époque arriérée ; les ornemens ont légèrement vieilli, mais la grace reste, et la passion et la mélodie. Wilson s’est défié de son talent ; il a fait des vers

  1. Silent Love, a poem, by James Wilson (Paisley en Écosse) ; 1844.