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à qui un lieutenant refusait d’obéir, le tua sur place d’un coup de poignard, et fut acquitté « comme ayant agi, dit la sentence, avec trop de précipitation sans doute, mais avec succès et avec courage ! » tant la discipline des matelots, une fois ébranlée, paraissait devoir compromettre le pays. Peu de temps après, un matelot ayant été condamné à mort pour désobéissance, Saint-Vincent, qui ne prit ce titre qu’après le combat de Saint-Vincent et dont le véritable nom était Jervis, ordonna que l’équipage du navire auquel ce matelot appartenait exécuterait la sentence ; c’était soumettre à la plus cruelle épreuve ces hommes qui partageaient la révolte de leur camarade. «  - Commandant, dit le capitaine du Marlborough à Jervis, jamais mes hommes ne laisseront de tels ordres s’exécuter. — Ah ! prétendez-vous donc, interrompit Jervis, ne pouvoir plus maintenir la discipline sur le Marlborough ? Dans ce cas, j’enverrai tout à l’heure un officier qui s’en chargera. — Mais au moins vous pourriez charger de l’exécution l’équipage des autres navires ; c’est la coutume, et je crains que mes hommes se refusent… - Capitaine Ellison, reprit Jervis après une pause et un sévère silence, vous êtes un vieil officier, qui avez beaucoup servi ; vous vous êtes souvent battu et avez souffert ; vous avez perdu un bras ; je serais fâché que votre âge et votre faiblesse fussent des prétextes ou des motifs de révolte. Je vous le dis, cet homme sera exécuté demain à huit heures et demie par ses camarades du Marlborough ; pas un homme d’un autre navire ne mettra le pied sur le vôtre. Vous pouvez retourner à bord, et, si cette besogne est au-dessus de vos forces, un officier sera près de vous. » - On enlève les canons du vaisseau révolté, qui le lendemain matin se trouve environné d’embarcations armées, commandées chacune par un lieutenant ; ordre était donné de faire feu jusqu’à ce que tout symptôme de résistance eût cessé. La scène fut terrible ; l’équipage, entouré de cent bouches à feu prêtes à le détruire et à le couler bas, consterné et muet, attacha de ses propres mains à la vergue le malheureux qu’il avait voulu sauver. Un témoin de cette scène, à laquelle assistaient plus de deux mille personnes, et qui se passait à Spithead, dit que l’on n’entendit pas un seul bruit sur le rivage et sur les navires, si ce n’est le coup de canon qui commandait l’exécution et le sifflement du câble qui lançait le matelot dans l’éternité.

Ces mémoires, très minutieux et assez mal rédigés, constituent cependant une portion majeure de la grande histoire que personne n’a encore écrite, et qui demande deux siècles écoulés pour qu’on puisse l’essayer, l’histoire des conquêtes et de la puissance anglaise depuis