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des Femmes, dernier souvenir de l’histoire probablement fabuleuse de Sapho et de Phaon. Une grotte de Thessalie s’appelle l’Antre d’Achille.

Veut-on voir comment les traditions se conservent en s’altérant ? On lit dans Pausanias qu’Hercule boucha les ouvertures par où s’écoulait le trop plein des eaux du lac Copaïs. Voici ce qu’on raconte maintenant dans le pays : Les terres couvertes aujourd’hui par les eaux étaient autrefois une contrée florissante. Le roi de cette contrée avait un frère qui, par un sentiment de vengeance, ferma les ouvertures du lac ; plaines et villages furent inondés. En Arcadie, une fable inventée pour expliquer la formation de la fente par laquelle s’échappe le fleuve Aïonios a été métamorphosée en une légende plus bizarre. Les anciens Grecs croyaient que la montagne s’était ouverte en cet endroit pour donner passage à Pluton enlevant Proserpine. Naturellement les Grecs modernes ont mis le diable à la place de Pluton. Un jour, le diable se battait avec un roi du pays ; les armés du premier étaient des boules de graisse ; l’une d’elles prit feu ; le corps du roi, tout embrasé et lancé avec une force terrible, ouvrit passage aux eaux à travers la montagne. La parodie est évidente. Comme l’histoire originale, elle semble se rapporter à une action volcanique[1].

Partout en Grèce, on entend parler de fleuves qui semblent se perdre et qui reparaissent sous un autre nom, de communications entre des lacs et des cours d’eau très éloignés. Ainsi mon guide m’assurait que l’Alphée venait du lac Phonia, comme on racontait à Pausanias que des gâteaux jetés dans le Cephise de Béotie reparaissaient dans la fontaine de Castalie. Ces préjugés tiennent également à une croyance païenne d’après laquelle les fleuves habitaient sous la terre, et se rattachent à la fable charmante du fleuve Alphée et de la nymphe Arthuse.

Un conte grec recueilli par M. Buchon[2], et dont l’origine est populaire, offre évidemment une version altérée de l’histoire de Psyché et de ses sœurs. Le conte moderne provient de l’île de Chios ; probablement la femme chiote qui l’a transmis disait sans le savoir l’ancienne fable milésienne qu’Apulée et La Fontaine ont reproduite avec tant de grace et qu’elle avait reçue de la tradition.

Comment ne pas retrouver, dans ce qu’on raconte à Delphes de la femme d’un papas qui se noya dans la fontaine de Castalie, l’histoire, de la nymphe aimée d’Apollon, qui se précipita dans ces eaux et leur

  1. Dodwell, Travels, t. II, p. 440.
  2. La Grèce continentale de la Morée, p. 263.