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en dehors de ceux qu’il s’est malheureusement interdits par des engagemens impolitiques, aussi contraires à son intérêt même qu’à celui du pays. Le maréchal Bugeaud propose de marcher sur Fez, et demande pour l’expédition 5 000 hommes d’infanterie, 25 pièces de canon, 6 000 chameaux et 8 000 hommes de cavalerie. M. Guizot refuse, et nous croyons qu’il a raison. Une expédition tentée au milieu des sables, sous un ciel embrasé, dans un pays inconnu, où l’eau est rare, pour atteindre un point qui est à soixante-dix lieues de la frontière, peut exposer l’armée à des désastres incalculables. M. Guizot penche pour une expédition sur Mogador, d’où l’on ferait une pointe sur Maroc. Pourquoi ne dirige-t-il pas sur Tanger cette brave escadre commandée par un fils de France, qui brûle d’ajouter une belle page aux annales maritimes de son pays ? Pourquoi ? Lisez le discours de M. Peel en réponse aux interpellations de M. Sheil sur l’Algérie, voyez ce qu’il dit des communications qu’il a reçues au sujet des affaires du Maroc ; vous comprendrez le motif qui empêche M. Guizot de diriger une escadre sur Tanger. Il s’est lié les mains, et il a enchaîné avec lui la fortune de la France.


La perte si regrettable et si subite de l’auteur du recueil des Chants populaires de la Grèce a fait une impression profonde auprès des hommes éminens dont M. Fauriel avait été l’ami, et sur lesquels son esprit sagace et inventif avait exercé une influence très réelle et d’autant plus digne de remarque, que le public n’avait guère été à même de l’apprécier. Il a manqué à M. Fauriel la persévérance qui achève et l’ambition qui cherche à mettre en lumière les efforts poursuivis dans l’ombre. Aussi la réputation du savant historien de la Gaulle méridionale, si notable qu’elle soit, ne correspond-elle pas à la valeur et à la portée de ses nombreux travaux ; mais les biographes ne manqueront certainement pas de restituer à la mémoire de M. Fauriel l’honneur qui doit surtout lui revenir, celui d’une initiative fortement originale dans la critique littéraire et historique. L’écrivain à qui Cabanis adressait sa fameuse lettre des Causes premières, l’ami dont Manzoni écoutait l’inspiration et à qui il se faisait honneur de dédier sa meilleure pièce, l’homme que de Staël consultait sur la littérature allemande, qui donnait à M. Cousin le goût de la philosophie ancienne, à M. Raynouard celui des troubadours, à M. Augustin Thierry celui des races du moyen-âge, à M. Ampère celui des littératures comparées, l’homme, enfin, qui a su inspirer tant d’illustres amitiés et coopérer par ses conseils à tant de monumens aujourd’hui célèbres, ne peut manquer de laisser des regrets profonds chez tous ceux qui, comme nous, ont eu l’honneur de le pratiquer. Le moment n’est pas venu d’apprécier l’ensemble de l’œuvre de M. Fauriel : les manuscrits très nombreux qu’il laisse ne tarderont pas sans doute à être publiés. Ce sera une occasion naturelle (et nous n’y manquerons pas) de retracer la biographie aussi curieuse que peu connue, et de juger les travaux si divers de cet ingénieux et patient esprit.


V. de Mars.