Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/499

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France. C’est le sentiment national en Angleterre ; il ne faut pas s’étonner de le voir se réveiller avec une certaine énergie dans les circonstances actuelles. L’entente cordiale n’en subsiste pas moins, mais dans les limites d’où elle n’est jamais sortie depuis qu’elle est née, c’est-à-dire entre les deux familles royales de France et d’Angleterre. Seule, ou à peu près, de l’autre côté du détroit, la reine Victoria éprouve un entraînement sympathique pour cette alliance, devenue si nécessaire à la paix du monde. Elle a pour les vertus du roi Louis-Philippe, pour sa haute capacité politique, pour les qualités si rares de sa famille, une admiration et une affection sans bornes, qui réagissent en elle sur la France en dépit des préjugés de sa patrie, et la mettent quelquefois en lutte ouverte avec eux. On raconte à ce sujet un trait curieux. Lorsque la Note du prince de Joinville arriva en Angleterre, elle y excita un mécontentement général. La reine, dans le premier moment, partagea le sentiment de tout le monde, en déclarant toutefois qu’à son avis la Note n’était pas du prince. Plus tard, quand elle sut à n’en pas douter que le prince était l’auteur de cet écrit, si mal accueilli autour d’elle, elle se mit à le relire attentivement et le jugea excellent. Elle déclara qu’elle trouvait tout naturel que le prince eût défendu les intérêts de son pays, et quelle lui en ferait son compliment à la première occasion. Depuis ce temps, il a été rarement question devant elle de la Note du prince de Joinville.

L’Algérie a encore été l’objet des interpellations de M. Sheil. Cette fois, les whigs et les tories sont tombés à peu près d’accord sur la convenance et la nécessité de considérer notre établissement en Afrique comme un fait accompli. Voilà donc une question vidée ; mais pourquoi M. Peel a-t-il pris le soin de faire remarquer que l’Angleterre, sans protester contre l’occupation française, n’a cependant rien fait d’où l’on puisse induire qu’elle a reconnu notre droit ? D’après M. Sheil, la France, si on lui reconnaît la souveraineté de l’Algérie, a le droit d’exiger que le consul anglais demande le renouvellement de ses pouvoirs. À cela, M. Peel répond que M. Saint-John agit encore en vertu de l’exequatur du dey. N’est-ce pas dire nettement à M. Sheil que le droit de la France n’a pas encore été reconnu ? On ne le conteste pas, soit ; mais, pour le reconnaître, on prendra du temps : voilà ce que signifie le discours de M. Peel. Est-là une situation digne de la France ?

Nous savons qu’on s’est fait sur cette question une théorie, démentie d’ailleurs par les principes. On dit que les consuls n’étant pas des agens diplomatiques, la formalité de l’exequatur, une fois accomplie à leur égard, n’a pas besoin d’être renouvelée, quoi qu’il arrive. Au moins, sur cette fausse doctrine, faudrait-il prier l’Angleterre de vouloir bien se mettre. D’accord avec nous pour dissimuler notre défaite. Mais, non ; l’Angleterre paraît au contraire d’un avis tout opposé. M. Peel ne repousse pas le principe posé par M. Sheil ; il semble admettre qu’en bonne règle, si on l’avait bien voulu, les pouvoirs du consul anglais à Alger auraient dû être renouvelés depuis la conquête. Il suit de là que le gouvernement anglais nous fait sciemment un affront, et qu’il ne consent pas même à nous prêter son manteau pour le cacher.