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s’écria : J’allumerais ma pipe à vos yeux ! Tout le monde connaît cette autre histoire, très vraie, d’un boucher qui lui demanda pour prix de son vote la permission de baiser sa joue patricienne. On sait aussi que la belle enthousiaste accepta le marché. Ce mémorable exploit excita la verve de tous les poètes des trois royaumes. Dans un volume qui fut publié quelques mois après, il n’y a pas moins de cent trente sonnets ou pièces de vers inspirés pour l’accolade du boucher de Westminster. La duchesse de Devonshire faisait elle-même des vers en anglais, en français et en italien.

Au milieu de sa vie dissipée, elle se montra constamment bonne et généreuse. Elle avait toujours la main ouverte et donnait sans compter. La fascination qu’elle exerçait venait moins, à ce qu’il paraît, de la régularité de ses traits que du charme et de la grace que respirait toute sa personne. Un contemporain a dressé un tableau arithmétique et comparatif des beautés régnantes de cette époque. Les qualités distinctives de chacune de ces divinités éphémères y sont désignées et évaluées par des chiffres. Le chiffre le plus élevé est 20. La duchesse de Devonshire a 20 pour la grace, 18 pour l’amabilité, 17 pour l’élégance, 16 pour l’expression, 15 pour le teint, 16 pour la taille, et seulement 14 pour les traits. Dans ce dictionnaire des graces, nous voyons figurer la princesse Marie, duchesse de Gloucester, qui avait alors dix-sept ans, et passait pour la plus aimable jeune fille d’Angleterre. Son altesse royale avait le pied et la cheville sans défaut, ce que trahissaient heureusement les jupes courtes que l’on portait alors. Les autres sont la duchesse de Rutland, la duchesse de Montrose, lady Stormont, lady Anne Fitzroy, lady Anne Lambton, lady William Russell la femme de celui qui fut si tristement assassiné il y a deux ans par son valet de chambre ; lady Erskine Saint-Clair, lady Webster, lady Caroline Campbell, lady Elisabeth Lambert, Mme Tickell, belle-sœur de Sheridan, Mme Law, miss Ogilvie, et Paméla, la femme de lord E. Fitzgerald, désignée comme fille du duc d’Orléans et de Mme de Genlis. Lady Fitzgerald a le chiffre 20 pour l’amabilité, 16 pour la taille, 18 pour l’élégance, 18 pour la grace, 18 pour l’expression, 14 pour le teint, 16 pour les traits.

Au milieu de ces hommes de forte trempe et de ces femmes d’élite qui prenaient héroïquement leur part des grandes passions de leur temps, Brummell se trouve un peu à l’ombre ; au milieu de cette société pleine de vie, pleine d’action, pleine de drame, qui mêlait les crises nerveuses des jeux de hasard aux émotions plus ardentes encore dont la révolution française enflammait le monde, ce personnage tiré à quatre épingles fait une assez modeste figure. Pour lui rendre justice