Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

succès éphémères qu’il faut acheter en altérant la vérité dans sa grandeur féconde. Il sait d’ailleurs que de pareils succès sont le plus grand obstacle à une renommée durable. Dans sa clairvoyante justice, l’opinion discerne ceux qui la courtisent par de petits moyens de ceux qui savent mériter, attendre ses suffrages sans les chercher. Il est possible que les rois, s’ils ont encore des flatteurs, soient toujours leurs dupes et les prennent pour des amis sincères ; mais il est un autre souverain, le public, qui, en paraissant accepter toutes sortes d’adulations et d’hommages, a le plus souvent peu d’illusions sur le compte de ceux qui les lui prodiguent. Pour arriver à son estime, l’indépendance de l’artiste, celle du penseur est, encore la voie la plus sûre ; c’est pour ainsi dire la voie sacrée qu’un homme comme M. Quinet ne doit jamais vouloir quitter. Qu’il reprenne ces beaux travaux où il avait su donner à la critique tant d’animation, et de splendeur : c’est le vœu sincère que font parmi nous tous ceux qui ont pour son remarquable talent une sympathie profonde. Il ne s’estimerait vraiment pas à sa juste valeur, s’il ne se croyait plus d’autre mission que de déclamer contre les jésuites et les ultramontains. Le brillant passé de M. Quinet nous donne le droit de demander autre chose à l’écrivain que dans sa jeunesse un noble enthousiasme emportait vers la patrie de Platon et d’Homère.

Dans une époque où à chaque pas on se trouve en face de l’exploitation industrielle et du charlatanisme littéraire, il importe que les idées et ceux que leur talent appelle à en être les interprètes ne descendent pas des hauteurs où les place la nature des choses, dans le dessein de se rendre plus populaires. Le beau et le vrai, par leur propre efficacité ; exercent sur tous les hommes, sur le peuple aussi bien que sur les connaisseurs, un irrésistible empire, et, pour avoir toute leur puissance, ils ne doivent sacrifier aucune de leurs conditions essentielles. En gardant aux lois nécessaires de l’art et de la science une fidélité ferme, les artistes et les penseurs attireront le peuple à eux, et de cette manière ils l’élèveront ; au contraire, si des esprits d’élite, cédant à de déplorables exemples, imaginaient de prendre pour règle les prétendus besoins et les convenances présumées de la foule, et d’y accommoder l’art et la science, cette conduite serait funeste à eux-mêmes, à la poésie, à la pensée, enfin au peuple qu’on aurait voulu servir. Ce n’est pas en abaissant les idées qu’on élèvera les masses. On compromettrait gravement l’éducation de la démocratie, si on la traitait comme ces enfans débiles pour lesquels on retranche dans les disciplines humaines tout ce qu’il y a de rude et de grand.


LERMINIER.