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et il se propose avant tout la régénération intérieure de l’individu. Or, aujourd’hui, c’est de l’humanité que se préoccupe principalement M. Quinet. « Vous cherchez le Christ dans le sépulcre du passé, nous dit-il, mais le Christ a quitté le sépulcre, il a marché, il a changé de place ; il vit, il s’incarne, il descend dans le monde moderne. » Ici M. Quinet répète, sans s’en apercevoir, ce qu’a dit en Allemagne le docteur Strauss, que dans cette Revue même il a si éloquemment combattu Quand M. Quinet écrivait ce bel article, il raillait assez amèrement l’humanité qui s’adore elle-même ; il comparait le genre humain à un autre Saül saisi de vertige, il nous le montrait s’écriant dans son ivresse : « Je sens que je deviens Dieu ! » Or, que fait autre chose aujourd’hui M. Quinet que diviniser l’humanité et le monde, puisqu’il nous dit que le Christ s’y incarne ? Ne nous dit-il pas aussi que Galilée, Keppler et Newton sont les prophètes du monde moderne, des voyans, parce qu’ils ont lu en Dieu lui-même leur géométrie sacrée ? Cependant, lorsque M. Quinet critiquait Strauss, il se faisait l’adversaire du Dieu-substance.

Quand on suit avec attention la pensée de l’auteur de l’Ultramontanisme, on la voit s’épuiser en efforts pour aboutir à un système sans pouvoir y parvenir. M. Quinet s’agite dans un spiritualisme généreux, mais vague, plein d’élans poétiques, mais aussi de contradictions flagrantes Un moment on serait tenté de le croire déiste avec Rousseau, puis on le trouve panthéiste. Son spiritualisme a mille aspects, mille couleurs : il amuse un moment l’imagination ; mais, comme il n’édifie rien, il ne saurait satisfaire les intelligences qui veulent se rendre compte des choses.

Pour nous résumer sur le livre même, l’Ultramontanisme est de beaucoup inférieur à la publication qu’a faite l’année dernière M. Quinet sur les jésuites. Les attaques auxquelles il se livre contre l’église ne sont ni nouvelles ni habiles. Sous les formes parfois éclatantes de la polémique de M. Quinet, il y a trop de réminiscences et de lieux communs. Il donne aussi trop beau jeu à ses adversaires par l’ardeur irréfléchie qui l’entraîne, tant pour les faits que pour les idées, dans d’étranges confusions. Sous le rapport dogmatique, l’écrivain s’est tellement abusé lui-même, qu’il a pris des sentimens vagues et des emprunts à des écoles contraires pour des idées positives et neuves.

En dépit de toutes ces méprises, nous n’en tenons pas moins pour très réel le talent même de M. Quinet. Laissons enfin le court ouvrage que nous avons dû critiquer pour considérer un moment l’écrivain avec sa belle imagination et sa brillante plume. Il y a dans ce qu’a