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aux grandes idées qui se disputent le monde le caractère qui les spécifie, et qu’on ne tombe pas dans l’illusion ou dans l’hypocrisie de confondre avec le christianisme les doctrines qui lui ont été le plus contraires.

La révolution française préoccupe beaucoup, et à juste titre, l’auteur de l’Ultramontanisme. C’est elle qu’il oppose à l’esprit de l’église romaine. Mais alors pouvait-on s’attendre que M. Quinet représenterait la révolution française comme une espèce de plaie d’Égypte, dont Dieu a voulu frapper les méchans ? Nous citerons ses paroles : « Il fallait qu’un grand châtiment vint avertir l’église qu’elle se trompait. Ce châtiment sacré, la Providence le lui a envoyé en déchaînant contre elle, la révolution française. Le ciel ne pouvait pas parler plus haut. A-t-il été entendu, compris ?… L’église niera-t-elle le châtiment ? Cela est impossible. Prétendra-t-elle que ce qui est vrai pour les autres n’est pas vrai pour elle ? Elle ne le peut pas davantage. L’avertissement n’a-t-il pas été donné avec assez de force. Faut-il que Dieu se répète ? Elle le pense encore moins. » Et M. Quinet, à quoi a-t-il pensé quand il a écrit de semblables lignes ? La révolution française n’est à ses yeux qu’un châtiment sacré que Dieu déchaîne pour punir l’église ! Nous pensions, nous, qu’elle était une source féconde de principes et d’idées, le développement légitime de la société française, et que les excès, même les crimes qu’on doit lui reprocher, ne sauraient abolir chez elle ce grand caractère d’une régénération nécessaire et glorieuse. Ce sont les ennemis de la révolution qui tiennent le langage que leur emprunte aujourd’hui M. Quinet, par la plus singulière des inadvertances. A son insu, M. Quinet apprécie la révolution française comme certains écrivains mystiques. Nous le renverrons à un écrit de Saint-Martin que ce théosophe publia en 1795. Cet écrit de quatre-vingts pages a pour titre : Lettre à un Ami ou considérations politiques, philosophiques et religieuse sur la révolution française. L’auteur mystique y reconnaît la nécessité de la révolution, et la raison qu’il en donne, c’est que Dieu dans ses décrets avait condamné le clergé et l’église extérieure. Saint Martin trouve naturel que Dieu verse du sang, arrache les fondemens d’une société antique, dans l’unique intérêt de ses élus et de l’église invisible. M. Quinet devait-il donc se placer au même point de vue ? Que devient alors le peuple dans cette manière d’apprécier la révolution ? Il n’est plus qu’instrument et victime. Il est le jouet de Dieu, qui le pousse et qui l’immole. Il y a plusieurs années qu’en causant à Munich avec le célèbre mystique Franz Baader, je recueillis de sa bouche cette parole : La révolution française est un ordre de Dieu,