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sur le trône des esprits, qu’il a été un ange d’extermination, qu’il a été le rire de l’esprit universel, un grand acte de la Providence ; mais, quand M. Quinet affirme que Voltaire est l’esprit chrétien lui-même, nous ne saurions souscrire à une telle appréciation. M. Quinet a-t-il voulu dire que Voltaire est chrétien, parce qu’il a été le prédicateur le plus puissant des droits de l’humanité ? Mais la pensée constante de Voltaire fut précisément de faire primer le christianisme par l’esprit de l’humanité. Avant Jésus-Christ, nous trouvons dans les écrivains romains la notion de l’humanité, nous la trouvons dans Térence, dans Cicéron, dans Sénèque ; c’est avec la pensée de Sénèque et de Cicéron que renoue Voltaire. Loin de vouloir, comme le dit M. Quinet, envelopper la terre entière dans le droit de l’Évangile, Voltaire a toujours travaillé à substituer à la religion révélée du Christ l’indépendance la plus complète et la généralité la plus absolue de l’esprit humain.

Prétendra-t-on que Voltaire fut animé de l’esprit chrétien, parce que dans Zaïre, dans Alzire, il a fait un pathétique usage des beautés morales du christianisme ? Voltaire a tenté des excursions dans l’art chrétien, comme il s’est servi de la mythologie grecque, en poète. Quant à l’homme même, il est l’ennemi systématique du dogme chrétien. M. Quinet n’avait donc plus en mémoire la correspondance de Voltaire quand il a écrit que Voltaire était l’esprit chrétien lui-même ? Qu’il ouvre ce vaste dépôt des pensées intimes de l’auteur d’Alzire, il trouvera de nombreux démentis à son assertion. Voltaire écrivait à Helvétius en 1759 : « Nous aurions besoin d’un ouvrage qui fît voir combien la morale des vrais philosophes l’emporte sur celle du christianisme. » Voici ce qu’en 1765 il mandait au comte d’Argental : « C’est à mon gré le plus grand service qu’on puisse rendre au genre humain de séparer le sot peuple des honnêtes gens pour jamais, et il me semble que la chose est assez avancée. On ne saurait souffrir l’absurde insolence de ceux qui vous disent : je veux que vous pensiez comme votre tailleur et votre blanchisseuse. » Loin de reconnaître dans le christianisme l’idée la plus générale, et un enseignement que toutes les intelligences, même les plus hautes, dussent accepter, on voit que Voltaire se révoltait contre l’uniformité du joug que l’Évangile impose à tous ; pour lui, l’aristocratie et l’indépendance de l’esprit étaient la règle suprême.

Nous relevons en passant ces inexactitudes dans lesquelles la fougue de M. Quinet l’a entraîné, parce que rien n’embrouille plus les questions que les méprises sur les faits et sur les hommes. Que gagne-t-on à faire de Voltaire un chrétien, et de Descartes un philosophe orthodoxe ? Ce n’est pas la première fois que nous demandons qu’on laisse