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car les évêques étaient pour eux ou des partisans dévoués, ou des adversaires puissans. La querelle du sacerdoce et de l’empire partagea l’épiscopat, et souvent les papes se trouvèrent sans force contre les évêques d’Allemagne et de France. Que de fois Innocent III s’adressa aux évêques allemands, pour leur rappeler les liens qui devaient les unir au chef de l’église ! Un jour, dans sa douleur, ne s’écria-t-il pas : La clé de Pierre est méprisée ! Ce n’étaient donc pas les papes qui humiliaient les évêques. Pas davantage les rois n’imitèrent les papes. Louis-le-Gros, qui n’était pas une ombre, et ses successeurs n’ont pas marché dans l’imitation des papes des siècles précédens. Cette manière de voir de M. Quinet, si elle était acceptée, défigurerait l’histoire et n’irait à rien moins qu’à nier l’originalité et l’indépendance de la puissance temporelle. Le monde temporel, demande M. Quinet, n’a-t-il pas obéi aux moindres impulsions du monde spirituel ? Non. Le monde temporel, et c’est sa force, a eu dès le principe son génie distinct. M. Quinet insiste, et il dit : « Il n’a fallu à l’église que remuer un fil pour tourner dans le sens où elle a voulu toute la société chrétienne. » À ce compte, c’est le sacerdoce qui aura voulu que l’empire allemand et la monarchie française missent avec tant d’énergie une digue à son ambition. Si Philippe-le-Bel a fait souffleter Boniface VIII, c’est que ce pape a remué un fil.

N’est-il pas bizarre que l’écrivain qui semble vouloir nous entraîner à une croisade contre ce qu’il appelle l’ultramontanisme méconnaisse à ce point la persistance individuelle de la puissance temporelle à travers toute l’histoire ? M. Quinet est persuadé que jusqu’à la révolution française le monde civil s’est moulé sur les formes de la société spirituelle : il oublie toute une moitié du moyen-âge, il oublie le jurisconsulte venant se mettre à côté du prêtre pour le contredire, l’antagonisme du droit romain et du droit canonique, et ici ce fut l’église qui calqua sa législation sur les formes des lois romaines. M. Quinet oublie la majesté impériale en Allemagne, l’autorité parlementaire en France. Avant la révolution française, il y avait en Europe une société civile puissante ayant ses origines, ses traditions, son esprit. M. Quinet veut prendre place parmi les défenseurs de la puissance temporelle : c’est fort bien, seulement il ne faut pas qu’il commence par rayer une partie de ses titres et par mutiler son histoire. Quelques pages plus loin, il est vrai, M. Quinet reconnaît que l’état, lorsqu’il est devenu chrétien, a senti qu’il avait comme l’église le droit divin d’être et de durée. Alors, dit-il, sa dépendance du spirituel a cessé, la lutte a commencé, c’est l’époque que domine saint Louis. Mais cette époque,