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Cette conviction, qu’il a rapportée de l’Espagne, doit le rassurer sur le réveil possible du fanatisme espagnol, qui ne sera pas ranimé de ses cendres par nos querelles théologiques, puisque ces querelles ne passent pas les monts. Malheureusement cette conviction n’est pas très solide dans l’esprit de M. Quinet, car nous trouvons dans sa neuvième leçon un passage qui dément les assertions de la première. « En Espagne même, dit M. Quinet (page 238), où le clergé était jusque-là si profondément incorporé à la nation, toutes les voix qui se font entendre répètent à leur tour le même cri : Rome ! L’évêque des Canaries, dans l’ouvrage qu’il vient de publier, place la nouvelle indépendance de l’église espagnole dans la servitude absolue à l’égard de Rome. » Cependant M. Quinet nous avait dit plus haut que le clergé de l’Espagne était resté parfaitement sourd aux appels des prêtres étrangers. Il faut bien avouer qu’ici encore, nous ne sommes pas mieux édifiés sur le clergé régulier que sur les moines. Entre ces versions différentes, quelle est la vraie ?

Heureusement l’imagination de l’écrivain peut offrir au lecteur désappointé des dédommagemens. Quand M. Quinet se représente lui-même parcourant les montagnes de l’Andalousie à la suite d’un guide qui, pour interroger un chevrier du haut d’un rocher, rappelait caballero, il sait vous communiquer les impressions pittoresques qu’il a recueillies dans sa course. Il a assisté à Madrid à quelques séances des cortès, et l’effet qu’a produit sur lui l’éloquence espagnole est rendu avec une piquante animation. En général, tout ce qui est sentiment, image, est toujours revêtu par M. Quinet d’une forme brillante ; mais Il est moins bien servi par son talent quand les faits et les hommes réclament un jugement net, une appréciation précise. Aux yeux de M. Quinet, l’Espagne est un peuple de prolétaires, une monarchie de prolétaires, un empire de prolétaires. Peut-être, si l’on voulait discuter ce point, trouverait-on qu’en Espagne il n’y a pas plus de prolétaires que partout ailleurs en Europe. Si dans le midi de la Péninsule la propriété est très peu divisée, elle l’est beaucoup dans d’autres parties. Mais enfin, puisque M. Quinet n’a vu dans la nation espagnole qu’un peuple de prolétaires, il a dû s’en affliger. Non, tout au contraire, il s’en félicite. L’état de l’Espagne est, à ses yeux, une pauvreté héroïque qui peut faire la gloire de ce pays, si ses législateurs savent le comprendre. Il remarque que l’insolence des riches et la jalousie des pauvres n’ont rien à faire là où la pauvreté est l’état de tout le monde, et c’est précisément parce que l’Espagne est aujourd’hui la plus mendiante la plus nue des nations, qu’elle pourra encore une fois étonner