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veut être vue et décrite avec la plus complète indépendance d’imagination et de jugement. Nous avons avidement interrogé le livre de M. Quinet sur les mœurs, sur la poésie, sur les arts de la Péninsule, et nous avons eu le déplaisir de le trouver muet sur tous ces points. Pas un mot de Lope de Vega ; rien sur Calderon, que la critique de Frédéric Schlegel a su si bien mettre en contraste avec Shakspeare. Notre voyageur a dédaigné le théâtre pour marcher droit à l’église.

Contentons-nous donc de la seule chose que M. Quinet ait voulu voir en Espagne, et abordons avec lui l’étude du clergé et des institutions catholiques de la Péninsule. Malheureusement, voici une autre espérance qui sera encore en partie déçue : il est difficile d’étudier et d’apprendre les choses en prenant M. Quinet pour guide ; il vous entraîne à sa suite, il vous charme quelquefois, mais il vous instruit rarement. Il entasse les images plus qu’il n’éclaircit les idées, il est véhément et sonore plutôt que solide et lumineux. Aussi les pages que notre auteur a consacrées à l’Espagne ont-elles laissé dans notre esprit, à une première lecture, des notions fort peu nettes ; toutefois, c’est un devoir pour nous de revenir sur nos impressions par une analyse attentive ; il faut savoir qui est ici en défaut, l’écrivain ou le lecteur.

M. Quinet entre vivement dans son sujet, et il s’écrie : « Où êtes-vous, légions de moines guérillas ? où êtes-vous, moines héroïques, qu’êtes-vous devenus ? » Le voyageur nous apprend qu’il a heurté à la porte d’innombrables chartreuses, il a appelé, personne n’a répondu. Après une énumération de cloîtres qu’il a trouvés déserts, M. Quinet ajoute : Je voulais à tout prix rencontrer un moine en Espagne, je n’ai pu y parvenir. Mais ne voilà-t-il pas qu’à trois pages de distance, M. Quine nous dit, toujours avec la même chaleur : « Voyez-vous en Espagne, à la suite d’une contre-révolution politique, ces moines dont je vous parlais tout à l’heure renaître de leurs cendres au cri de guerre, et tenter l’auto-da-fé du XIXe siècle ? Ah ! je ne demande pas leur perdition, j’ai sympathisé avec leur misère, je l’ai dit à ceux que j’ai rencontrés, et j’ai dit la vérité. » Nous n’insisterons pas sur une contradiction aussi flagrante ; nous savons que les poètes ne sont pas des logiciens ; seulement on conviendra qu’avec de tels renseignemens il nous est difficile de savoir s’il y a aujourd’hui des moines en Espagne.

Si nous passons des moines au clergé régulier, nous voyons que M. Quinet nous représente les ecclésiastiques espagnols comme des hommes simples qui ne lisent pas, et sont près de considérer tout ouvrage comme une hérésie. Il nous assure qu’ils sont restés parfaitement sourds aux appels des théologiens et des prêtres étrangers.