Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/456

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

indispensable à ses études. « Je suis parti pour l’Espagne, nous dit-il, sans l’appui de personne, contre le conseil et les vœux de tous mes amis, qui, dans leur sollicitude, ne me présageaient que ruine et désastre sur cette terre de misère. » M. Quinet doit se féliciter aujourd’hui de n’avoir pas cédé aux inquiétudes de ses amis, elles étaient excessives. Plus d’une fois, il est vrai, s’il faut l’en croire, il a fouillé, au péril de sa vie, les sierras les plus inhospitalières, mais enfin il n’a rien perdu sur cette terre de misère, pas même sa bourse, et il nous est revenu avec un bagage d’impressions et d’idées dont il faut apprécier la valeur.

La société espagnole est peut-être celle de nos sociétés modernes qui demande à l’observateur qui veut la connaître plus de temps et de réflexion. Nous pouvons pressentir la variété des aspects que présente le caractère espagnol, par les vicissitudes infinies dont l’histoire politique de la Péninsule nous donne aujourd’hui le spectacle. Le génie des peuples est la cause principale de leurs révolutions. Quand une nation surprend l’Europe chaque matin par des changemens brusques, par des péripéties imprévues, quand elle a contracté l’habitude d’une instabilité perpétuelle, elle nous avertit que ce n’est pas en un jour qu’on peut la connaître, puisqu’elle se cherche encore elle- même. Dans ces idées qui se débrouillent, dans ces croyances et ces passions qui se combattent, il y a le chaos, et, au fond de ce chaos, il y a, nous l’espérons, la fécondité. Mais ce travail sera long, et il ne livre pas ses secrets au voyageur qui passe. Indépendamment de la curiosité littéraire qui, pour le professeur des littératures modernes au Collège de France, est un devoir, M. Quinet avait, pour aller en Espagne, une autre raison, et, nous dit-il, c’est peut-être la principale. Dans le combat que les hommes du passé nous livrent, j’ai voulu aller au-devant de ce fameux fanatisme espagnol et portugais, le voir de près, l’interroger, le chercher sous ses cendres. Ce fameux fanatisme est donc mort, s’il faut le chercher sous ses cendres ? Ne nous rassurons pas trop vite par la manière dont M. Quinet pose la question, car il pense que, si ce fanatisme est mort, il peut renaître, il craint qu’il n’ait été réveillé par nos querelles théologiques, et qu’il ne se prépare, de son côté, à garrotter l’esprit du midi de l’Europe. Voilà, dit M. Quinet, ce qu’il m’était indispensable de connaître. Puisque M. Quinet s’est donné à lui-même une pareille mission, il a le droit d’être écouté gravement. Toutefois, s’il faut l’avouer, nous eussions désiré qu’il eût franchi les Pyrénées avec un esprit plus libre. Cette terre sillonnée par tant de civilisations successives, cette terre si ardente et si mobile,