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V - LA GRECE ANCIENNE DANS LES CHANTS ET LES TRADITIONS POPULAIRES DE LA GRECE MODERNE

L’érudition s’est complu trop long-temps à placer les œuvres littéraires qu’elle étudiait en dehors de la vie commune et de la réalité La poésie classique apparaissait comme quelque chose d’abstrait sans rapport avec les sentimens de la foule, comme le prodige d’un art savant destiné à charmer les littérateurs et à exercer les critiques. Maintenant on a reconnu que toute grande inspiration poétique ases racines dans les sentimens et l’imagination des masses. Homère, sans cesser d’être un artiste naturellement sublime, est pour nous le chantre ou plutôt la voix de la tradition, on l’a enlevé à la société des poètes lettrés pour le placer à la tête de cette famille des poètes primitifs et spontanés à laquelle appartiennent les auteurs des épopées indiennes, de l’Edda, des Niebelungen, des ballades espagnoles, et des chants populaires de la Grèce moderne. Entre ces derniers et les chants immortels d’Homère, il y a, outre l’analogie qui rapproche toutes les poésies naïves, un rapport de parenté. Les mendians aveugles qui naguère parcouraient la Grèce soumise au joug des Turcs, chantant dans les banquets les exploits des héros de la montagne, des palicares indomptés, descendaient en droite ligne du mendiant, de l’aveugle dont les chansons héroïques furent dites aussi à la table où il était accueilli et en paiement de l’hospitalité.

Sans parler d’Homère, il est d’autres chants antiques que M. Fauriel a ingénieusement rapprochés des chants populaires de la Grèce moderne[1]. La chanson de l’Hirondelle, dont parlent les anciens, est encore aujourd’hui entonnée par les enfans grecs au premier jour de mars, et même ils ont conservé l’usage de porter avec eux l’image de l’oiseau dont le retour annonce le printemps. A Rhodes, les jeunes garçons chantent : « Elle est venue, elle est venue, l’hirondelle qui amène la belle saison ! Ouvrez, ouvrez la porte à l’hirondelle, car nous ne sommes pas des vieillards, mais des enfans. » Ailleurs, on célèbre le premier jour de mai en chantant : « Elle est venue, elle est venue heureusement, notre nymphe Maia[2] ! »

  1. Chants populaires de la Grèce moderne, disc. préliminaire, p. XXVIII et CIV.
  2. Ces gracieux hommages à la déesse du printemps se sont perpétués au moins jusqu’à une date récente dans la ville phocéenne des Gaules ; à Marseille, le 1er  de mai, on plaçait sur des autels garnis de fleurs des jeunes filles bien parées et leurs compagnes appelaient les passans pour offrir des fleurs à la Maia. (Guys, Voyage littéraire en Grèce.)